8.5/10Les Charmes discrets de la vie conjugale

/ Critique - écrit par Kassad, le 08/11/2005
Notre verdict : 8.5/10 - Discret, fin et efficace (Fiche technique)

Quand on veut régler ses comptes avec le clan au pouvoir à la maison blanche on peut être direct comme Nicholson Baker ou bien avancer masqué comme le fait Douglas Kennedy dans son dernier roman. C'est en effet sous le couvert d'un roman sur les petites déceptions de la vie de tous les jours que se cache en fait une critique acérée de l'amérique d'aujourd'hui.

La première partie du roman commence dans les années 60. Hannah Buchan est la fille d'un universitaire qui a eu son petit moment de gloire en se faisant interpeller lors d'une manifestation contre la guerre du Vietnam. Sa mère quant à elle est une artiste contemporaine avec tout ce que cela peut supposer de morgue et de suffisance envers les "petits bourgeois". Malheureusement pour ses parents Hannah espère une vie tranquille et finit par s'enterrer dans le Maine avec un médecin pas très funky... La seconde partie se passe de nos jours : une petite aventure (la seule !) du temps de sa jeunesse va refaire surface et balayer sa vie comme un fétu de paille.

Le début du roman laisse croire à un compte sentimental "à la Douglas Kennedy" (voire L'homme qui voulait vivre sa vie par exemple) qui en l'espèce, il faut le reconnaître, est un orfèvre reconnu. En fait on s'aperçoit petit à petit que ce roman tient plus d'un Bucher des vanités du XXI siècle que d'un Madame Bovary moderne. La description d'une amérique contemporaine, ultra-religieuse et intolérante fait froid dans le dos. Rapidement, Hannah se retrouve seule face à un système qui veut la broyer : c'est le carnaval des hypocrites des ex-gauchistes devenus évangélistes aux chrétiens qui n'ont que mots de "pardon" et "expiation" à la bouche mais qui sont les premiers à jeter la pierre, la liste est longue.

Douglas Kennedy aurait put tomber dans une critique "facile" en ne montrant que les aspects les plus ridicules de ces nouveaux réactionnaires. Il évite le piège en mettant en filigranne de son récit des événements qui montrent la complexité des choses : par exemple Margy l'amie d'enfance d'Hannah, une des seules qui la soutiendra envers et contre tout finit par attraper un cancer des poumons. Kennedy de ce fait contrebalance sa critique acide des nouveaux croisés anti-tabac qu'il mène par ailleurs. Un autre exemple réside dans le proviseur du lycée d'Hannah : ancien des marines, il a les cheveux coupés courts et l'idéologie qui va avec, bref il représente tout ce que Kennedy ne supporte plus dans cette amérique post 11 septempbre. Et bien ce personnage est d'une rectitude morale sans faille, il est présenté sous un jour positif : il ne cède pas aux pressions et résiste du mieux qu'il peut à la tempête puritaine qui s'abat sur Hannah. Par ces artifices littéraires Douglas Kennedy montre qu'il ne voit pas le monde en noir et blanc comme ses adversaires. Ce point est m'a vraiment impressionné de par la finesse d'analyse dont il fait preuve chez l'auteur.

Les charmes discrets de la vie conjugale est le roman d'une disparition. Celle de l'humanisme qui est une valeur morte avec le XXI siècle, et à son image Hannah est perdue et attaquée de toute part. La seule réserve que j'émettrais concerne la fin qui est à mon goût trop "hollywoodienne", un peu trop rose et facile. Néanmoins Les charmes discrets de la vie quotidienne reste un roman d'une qualité littéraire indéniable et rare.