7/10Tout est fatal

/ Critique - écrit par Lestat, le 06/09/2003
Notre verdict : 7/10 - Le petit retour du Roi (Fiche technique)

Tags : king stephen tout nouvelle livre nouvelles fatal

Que serait une année sans un nouveau pavé du maître de la terreur ?
Après
Dreamcatcher, le deuxième volet du Talisman et Ecriture, King se repose un peu des gros livres et en profite pour nous faire plaisir. Car il y a un domaine où l'écrivain excelle : celui de la nouvelle. En effet, si certains de ses ouvrages sont de qualités discutables (le soporifique Bazaar, une Insomnie qui n'en provoquera pas, une année du Loup Garou trop conventionnelle pour être honnête), ses recueils de nouvelles ou d'histoires courtes sont de petits chefs-d'oeuvre qui laissent invariablement éclater tout le talent de l'auteur.

Tout est fatal est-il du même bois que Danse Macabre ou Brume ? Pas si sûr...

Tout est Fatal rassemble quatorze nouvelles, écrites sur des périodes variables, dont certaines ont déjà été publiées dans certains magazines, voire sur le Net.
Stephen King, qui nous gratifie toujours de très bonnes préfaces, nous offre de petites introductions ou conclusions pour chacune de ses histoires, s'arrêtant sur ses références, sur ce qui l'inspira... Inattendu au premier abord, le principe se révèle passionnant et on se surprend à préférer ces petits intermèdes à la nouvelle en elle-même.
Pour l'anecdote, la composition du recueil a été établie à l'aide d'un jeu de cartes. Comme quoi, le hasard fait parfois mal les chose. En effet, la première nouvelle qui s'offre au lecteur se trouve être la pire de l'ouvrage. Salle d'Autopsie Quatre, barbante et étonnement mal écrite, dont la trame a des relents de mauvais Contes de la crypte. D'ailleurs, comme King l'avoue, cette histoire d'autopsie prématurée est la repompe d'un Alfred Hitchcock Présente (série à suspense des années 60). Etre accueilli de la sorte est assez déconcertant et laisse entrevoir la suite avec moins d'enthousiasme. Suite assurée par une rencontre démoniaque d'une platitude ahurissante. King, si bon avec les vampires, les fantômes et autres créatures, s'est toujours inexplicablement étalé avec le Prince des Ténèbres. L'Homme au costume noir ne déroge pas à la règle et à défaut de jouer avec nos nerfs, joue avec des ficelles grosses comme des câbles dans une histoire éculée qui ne surprendra personne.

Deux nouvelles, deux déceptions. Le constat n'est guère brillant. Mais la persévérance paye...

Paradoxalement, King n'est jamais aussi bon que quand il quitte son domaine pour des histoires réalistes empruntant au quotidien. Et il le prouve une fois de plus et à trois reprises. Tout d'abord avec Tout ce que vous aimez sera emporté. Un simple récit de suicide, plein de poésie noire, de finesse et de désespoir. Porté par le maître, nous suivons le destin tragique d'un VRP déprimé collectionnant les graffitis dans un petit carnet. Une belle histoire, humaine et touchante. La nouvelle qui suit, la Mort de Jack Hamilton, nous plonge dans un monde à la Bonnie and Clyde, au sein de la célèbre bande de John Dillinger. L'ombre d'Arthur Penn plane indéniablement sur cette fuite rocambolesque, documentée et racontée avec passion. Un bon bol d'air dans le milieu des gangsters qui ravira tout ceux qui, étant petits, préféraient le rôle du voleur à celui de policier. La conclusion, tragique et inévitable (rappelons-nous le titre...) nous ramène toutefois aux basses réalités de la vie. Un récit étonnamment émouvant, dans la veine de son prédécesseur. Nous arrivons enfin dans une Salle d'Exécution, histoire violente et glauque à souhait, dont la fausse happy end ne bluffera pas grand monde. Une tonalité sombre et dramatique qui n'est pas sans faire penser au superbe roman la Ligne Verte.

Après ces trois bouffées d'oxygène bienvenues, King nous entraîne à nouveau dans le paranormal avec Les Petites soeurs d'Eluria, où nous retrouvons une vieille connaissance : Roland le Pistolero, toujours dans sa quête de la Tour Sombre. S'apparentant davantage à un court roman qu'à une nouvelle au sens strict du terme, Les Petites soeurs d'Eluria est une troublante histoire de vampire. Blessé par des mutants, Roland est recueilli dans un dispensaire un peu spécial, où, la nuit venue, les infirmières dévoilent leurs véritables visages. Roland ne devra son salut qu'au courage d'une jeune créature de la nuit qui ne lui est pas indifférente.
L'histoire d'amour vampirique est un classique de la littérature (Carmilla, Dracula...) et King s'en sort avec les honneurs, les quelques longueurs du récit étant compensées par une conclusion d'une beauté rare.

Hélas, après tant de belles choses, la suite devient plus conventionnelle. LT et sa théorie des AF, malgré un sujet en or, est une histoire sans grand intérêt. Tout est fatal, aurait pu être excellente sans sa conclusion téléphonée. Déjeuner au Gotham Café ne restera pas dans les annales non plus, même si elle se lit sans déplaisir. Cette Impression qui n'a de nom qu'en français, confirme que décidément, King n'est pas à l'aise avec le Malin. Cette vision de l'enfer est on ne peut plus maladroite, malgré l'originalité de l'ensemble.

On retiendra plutôt Quand l'auto-virus met cap au nord, mettant en scène écrivain d'horreur et tableau hanté. Une nouvelle, qui cela dit en passant, ferait sans doute un excellent film. Toutefois, les lecteurs de Minuit 2 n'auront pas laissé échapper la trame similaire au Chien du soleil, où un jeune garçon se trouvait confronté à un appareil photo maudit.

Il faut attendre les trois dernières histoires pour apercevoir à nouveau le talent du grand King. 1408, assurément le meilleur récit du recueil, scotche littéralement le lecteur. Dans cette terrifiante chambre d'hôtel hanté plane l'ombre des grands auteurs qui ont donné leurs lettres de noblesses au genre. Délicieusement old school, avec un soupçon de Clive Barker. C'est bien dans les vieilles marmites que l'on fait les meilleures soupes.
Mais King ne s'arrête pas là et nous emmène faire un tour sur le Bolid', vision moderne du mythe de Charon (le passeur de mort, dont la barque emmenait les défunts le long du Styx, le fleuve de l'enfer, durant l'antiquité). Sombre et un brin pervers, le Bolid' a été également le premier e-book de Stephen King, donnant un sacré coup de fouet à sa notoriété. On aurait pu craindre que le procédé de publication était plus intéressant que la nouvelle en elle-même. Il n'en est rien. Un tour sur le Bolid' est une histoire macabre, frisant parfois le gothique où King apporte une surprenante réflexion sur la mort.
Et l'on termine en beauté avec Petite Chansseuse, court récit de quelques pages, simple, épuré, dont la seule once de surnaturel lorgnerait vers le rêve prémonitoire.

Refermons le livre à présent.

Stephen King nous a livré à nouveau un bon recueil de nouvelles. Mais il déçoit. On a connu l'auteur plus inspiré, plus pervers, plus cynique. Après un Dreamcatcher à la limite du compréhensible et extrêmement fouillé, je m'attendais franchement à mieux. Peut-être qu'à force d'en lire, je deviens trop exigeant ? Mais pour ma part, le rendez-vous est un peu manqué. Reste le plaisir de quelques récits bien troussés et des petites préfaces toujours aussi agréables à lire.
Une chose est certaine, si vous ne connaissez pas l'auteur, Tout est Fatal est un bon moyen de se familiariser avec son style et ses thèmes, malgré quelques histoires franchement ratées.

Quant aux autres... et si on ressortait Danse Macabre du placard ?