6.5/10Leçons du monde fluctuant

/ Critique - écrit par nazonfly, le 16/02/2009
Notre verdict : 6.5/10 - Pays des vermeils (Fiche technique)

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Jérôme Noirez plonge sa plume dans une fantasy à tendance Carollienne sans pour autant nous resservir une énième resucée d'Alice aux Pays des Merveilles. Ouf !

Le Royaume d'Angleterre au XIXème siècle. Ou plutôt l'Educaume d'Angleterre dans un XIXème siècle parallèle où la Grande Rectrice Victoria a décidé d'instaurer l'Education comme valeur primordiale. Dans cette Angleterre, à Oxford plus exactement, Charles Dodgson jouit d'une situation enviée : il est professeur de mathématiques, malgré son bégaiement. Il n'a qu'un vice mais il est de taille : il aime la photographie, surtout celles des filles. Jeunes, très jeunes, trop jeunes pour les amphigouristes qui le dépêchent à Novascholastica, à l'autre bout du monde et haut lieu de l'inculture de l'Educaume. Adieu jeunes filles, adieu belle Alice ! Bonjour à Jab Renwick au coeur de pierre suitante, au cerveau en nid d'araignée et à l'oeil blanc salpêtre. Jab est une horreur à peine humaine, un noir précepteur, l'exécuteur des basses oeuvres amphigouristes. Quel étrange couple qu'un pédophile bégayeur et mathématicien et un sadique né de l'union d'un prisonnier avec les murs de sa geôle !
De l'autre côté de ce monde, Kematia, jeune indigène de Novascholastica, est perdue dans un monde aride et sec. Elle découvrira bien vite qu'il s'agit des terres de Lankolong. Accompagnée de son chien de chiffons et à la queue de corde tressée, elle est en route pour un bien étrange voyage qui la fera rencontrer un Anglais dont l'estomac sert de gîte à un cerf aux andouillers si proéminent qu'ils ressortent par les lèvres de ce même Anglais. So british !

Sus aux gutums

Cette atmosphère de douce folie qui règne dans Leçons du Monde Fluctuant nous ramène directement de l'autre côté du miroir d'Alice dans le Pays des Merveilles. Un livre maintes fois adapté et détourné écrit par un certain Lewis Carroll, pseudonyme de... Charles Dodgson. La boucle est bouclée ! Ce n'est pas pour rien qu'on croise dans Lankolong un lapin blanc, camé jusqu'aux yeux et sniffant tout ce qui lui passe à proximité de narines, même s'il s'agit de poudre à canon. Pourtant ce monde fantasmagorique est menacé par les lumières silencieuses et mortelles des gutums, qu'on ne peut s'empêcher de rapprocher de l'effrayant Néant de L'histoire sans fin. Le haut et le bas ne sont que deux aspects d'une même facette, la vie et la mort se croisent et se mêlent tant qu'on ne sait plus si on est mort ou vivant. Comme un phare dans la nuit, Kematia montre la voie à la foule des habitants de Lankolong : toujours droit devant. Tous laisseront leur ancienne vie, au propre comme au figuré, et leur relatif confort, dans une fuite en avant, droit sur ces gutums.

L'Humanité vaincra !

Certes Leçons du Monde Fluctuant ne fait pas partie de la grande littérature, celle que l'on pourrait étaler au détour d'une conversation sans même l'avoir lu. Leçons du Monde Fluctuant est une oeuvre d'une fantasy loufoque, à l'originalité certaine (oui on peut faire du fantastique en se passant des sempiternels elfes, vampires et autres monstres communs), plus proche d'un hommage à Lewis Carroll que d'un plagiat. Jérôme Noirez se permet même le luxe d'évoquer quelques travers de la société anglaise du XIXème, comme de la nôtre. Religion et système politique ne sont pas épargnés par l'auteur, sans que l'attaque toutefois ne soit frontale et balourde. L'un et l'autre y sont aveugles, obsédés par l'idée d'un monde qu'ils maitriseraient parfaitement, de la vie à la mort. Mais le monde et l'Homme surtout ne sont pas des choses faciles à manipuler. Et même les scientifiques les plus allumés, entièrement dévoués à la cause de l'Educaume, ne pourront parvenir à terrasser l'humanité et les représentants de la Terre. Car, bien sûr, à la fin, tout est bien qui finit bien. Ou plutôt tout commence...