9/10L'Echelle de Darwin

/ Critique - écrit par Kassad, le 14/11/2005
Notre verdict : 9/10 - l'odyssée de l'espèce (Fiche technique)

La science-fiction est un genre souvent déprécié, rangé au ban de littérature, on le considère encore trop fréquemment comme un passe temps sans ambition, tout juste digne de servir de substrat à un futur blockbuster. Bien sûr l'oeuvre de Jule Vernes, 2001 l'odyssé de l'espace, et autres montrent que, comme en tout, il y a à prendre et à laisser. La science-fiction peut aussi se montrer une manière de penser la modernité et les problèmes qui se posent à l'humanité. Ces derniers temps c'est la biologie qui revient au centre des interrogations : manipulations génétiques, clonage etc. C'est dans ce domaine que Greg Bear nous propose une réflexion étonnante sur l'évolution...

Tout commence par la découverte d'un couple d'hibernatus (vous savez ces hommes préhistoriques conservés dans les glaces) dans les Alpes autrichiennes. La découverte est d'autant plus importante qu'il s'agit d'une famille. Les parents retrouvés sont des homo sapiens neandertalis : des néandertaliens, nos lointains ancêtres. Ce qui frappe les explorateurs de stupeur est le fait que le bébé est lui un homo sapiens sapiens. Le mystère est total. En même temps une épidémie de fausses couches se déclare sur la planète. Plus étrange encore quelques semaines après leurs fausses couches les mères se retrouvent enceinte, qu'elles aient eu des rapports sexuels ou non... Les épidémiologistes sont sur les dents, personne ne semble savoir où tout cela va mener.

La thèse soulevée par Greg Bear concerne rien de moins que l'évolution qui a conduit à l'homme tel qu'on le connaît et à comment elle pourrait se poursuivre. Au point de vue scientifique, et pour ce que j'en sais, son "explication" est relativement sensée et pourrait tout à fait cadrer avec la réalité. Ce point est important et à ne pas négliger en l'espèce (notez le subtil jeu de mots). La crédibilité du récit rend le propos encore plus fort et renforce les interrogations fondamentales soulevées dans le roman : quand et comment va évoluer l'espèce humaine ? Que va-t-il se passer ou ne pas se passer : allons nous stopper l'évolution en prenant en main notre destinée génétique ou bien serons nous dépassés par la nature ?

L'un des points qui m'a particulièrement accroché dans ce roman est l'angle pris par Greg Bear pour développer son histoire. Il s'intéresse aux réactions de la population face à une question existentielle au sens premier du terme : comment allons nous (d'une manière collective) réagir à une menace d'extinction ? La différence avec les romans/films catastrophes portant sur la fin de l'humanité est que là l'action se déroule lentement. Pas d'épidémie qui décime la population en 28 jours, de vague de froid ou de chute de météorites type Armagedon qui change les conditions de vie en quelques instants. Dans L'échelle de Darwin c'est à l'aube d'une génération qu'on voit venir le problème. La vie continue presque comme avant, le pouvoir politique tente ce qu'elle peut, les populations perdent le sens commun, certain résistent d'autre sont enthousiastes... Bref, vous ne pouvez éviter de vous poser la question : "et moi comment est ce que je réagirais en telles circonstances ?".

L'échelle de Darwin peut tout à fait se lire au premier degré, et reste à ce niveau un très bon roman d'anticipation : le style est fluide, les personnages bien trempés, bref c'est un bon roman qui vous prend dans son ambiance (personnellement j'ai lu les 800 pages en trois jours). Cependant la richesse principale se situe au deuxième degré : la question de la vie (donc de la mort) y est posée d'un point de vue inhabituel (au niveau de l'espèce en tant que telle), dérangeant : il est impossible de ne pas mettre en perspective le dernier Houellebecq, qui d'une certaine manière est une autre vision du même problème (bien moins naturelle et optimiste mais c'est un autre débat). Les romans sont des expériences intellectuelles, fictives, qui nous permettent de mieux appréhender les problématiques essentielles de la vie réelle : en cela L'échelle de Darwin remplit tout à fait son rôle pour faire évoluer nos esprits. Un roman comme on en croise pas souvent malheureusement.