8/10La Possibilité d'une île

/ Critique - écrit par Kassad, le 05/09/2005
Notre verdict : 8/10 - L'île désenchantée (Fiche technique)

A moins que vous n'ayez été éxilé sur une île durant cet été 2005, vous avez forcément été vicitime du "Buzz" de l'année. La rentrée littéraire en gestation ne frémissait plus que pour lui depuis le début du mois de juin : le dernier Houellebecq était prévu pour la fin août. Le dernier Houellebecq, toute proportion gardée, c'est un peut comme le dernier épisode d'Harry Potter pour les grands et dans le petit monde des lettres françaises. Tout le monde en parle en faisant mine de pas y attacher tant d'importance que ça, les discussions sur le thème "quand même vous ne trouvez pas qu'on en fait un peu trop ?", l'aspect sulfureux du personnage (même quand on n'a jamais rien lu de lui on sait vaguement qu'il écrit des trucs avec un peu de cul, des terroristes, qu'il serait crypto je ne sais quoi) ajoutant à la dramatisation de l'événement. Il faut aussi dire que Michel Houellebecq est un vrai génie en termes de communication et d'utilisation des médias. Pour faire court il est insaisissable et agace (ceci expliquant cela bien sûr).

Avec La possibilité d'une île sachez que vous retrouverez plus le Houellebecq des Particules élémentaires que celui de Plateforme. La possibilité d'une île est constituée des récits croisés de Daniel (Daniel 1), un humoriste féroce du début du XXIème siècle, et du journal ses clones (Daniel 24, Daniel 25...) quelques générations plus tard. Daniel 1 connaît tout du fonctionnement de l'âme humaine, c'est cette perception à la fois cynique, désabusée et amorale qui lui permet de faire mouche à chaque fois dans ses spectacles. Comme un entomologiste qui observe des insectes il regarde ses contemporains sans la moindre émotion. Il relève désabusé les petits travers de la vie de l'homme moyen pour en faire un one-man show, des films ou bien des chansons parodiques qui soulignent le caractère futile de nos existences. Les clones de Daniel vivent dans un monde déserté (la majeur partie de la population est morte dans des catastrophes passées) où il n'y a plus de contact. Petit à petit ils aspirent à devenir des Néo-hummains...

Il faut le reconnaître Houellebecq est un malin. Un peu comme un Gainsbourg qui arrive à faire chanter Les sucettes à l'anis a une jeune ingénue qui n'y comprend rien tout en parvenant à gagner l'eurovision avec. L'écriture est transparente et Daniel est évidemment le double littéraire de Michel. En cela, les premières pages de La possibilité d'une île sont savoureuses. Si le star system et ses dérives ridicules vous insuportent, vous pourriez trouver ici de quoi vous bidonner pendant des heures. Le mélange d'auto-dérision, de cynisme et de franchise désarmante (qui sont les marques de fabriques Houellebecquienne par excellence), est dans ce roman exceptionel.

Les parties des "clones" de Daniel sont plus poétiques, et mélancoliques. C'est à une humanité désincarnée que nous assistons, où les contacts entre les hommes ne se font qu'à travers des réseaux informatiques... Le ton est ici plus grave et donne un recul, un poid au roman qui en font plus qu'une farce réussie.

Finalement je dois dire que j'ai été agréablement surpris. C'est un bon roman, à n'en pas douter nettement au dessus de la moyenne des 600 et quelques romans de cette rentrée littéraire plus ventrue que jamais. Dans un certain sens Houellebecq est un leader : il fait parler de lui, les gens prennent position, débattent mais lui continue son bonhomme de chemin avec ce qu'il faut de provoc' et d'inventivité (il est tout de même l'un des rares à traiter des progrès de la biologie d'une manière qui va un peu plus loin que les réfléxions dignes du bistrot du coin qu'on entend le plus souvent) pour constituer un feu-follet unique dans le paysage feutré des lettres parisiennes. C'est sa principale qualité. Que d'autres auteurs, comme Nicholson Baker par exemple, aient déjà creusé ce sillon (avec moins de succès commercial mais peut être une plus grande valeur artistique), et passeront sans doute mieux à la postérité, ne devrait pas vous empêcher de passer un bon moment.