9/10Vues sur la mer

/ Critique - écrit par Danorah, le 30/08/2006
Notre verdict : 9/10 - Thème et variations (Fiche technique)

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Une atmosphère cafardeuse et cotonneuse, pour un premier roman à la beauté fragile et intimiste.

« - Vous voulez une chambre avec vue sur la mer ? » C'est par cette question anodine que tout commence. Et recommence. Plusieurs fois. Mais jamais exactement de la même manière (heureusement). Exercice de style romantique et attachant, le premier roman d'Hélène Gaudy s'inscrit dans une veine résolument intimiste qui a tout pour séduire.

« - Vous voulez une chambre avec vue sur la mer ? » s'enquit invariablement le réceptionniste de l'hôtel. Cet hôtel, c'est celui où Jeanne se réfugie après avoir (temporairement ?) fui son quotidien - et par la même occasion l'homme avec qui elle partageait sa vie. Des hôtels, en fait, il y en a sept. Un par chapitre. Sept mondes parallèles, six variations sur un même thème : fugue. Sept mises en scène et un seul argument, minimaliste : Jeanne vient de tout plaquer et débarque dans un hôtel. Cet hôtel, elle l'a imaginé, construit dans un coin de sa tête, sa chambre impersonnelle avec une fenêtre qui ferme mal, ses employés anonymes et sa famille tranquille en vacances dans le coin. Autour de cette simple trame se tissent les différents chapitres, reflets légèrement déformés d'une fugue fantasmée, qui soudain prend forme et se matérialise. Surgit dans le monde réel, tangible.

« - Vous voulez une chambre avec vue sur la mer ? » Question invariable, invariante, même lorsque l'hôtel se situe en pleine montagne. Que fait-elle ici ? Que cherche-t-elle au juste ? Même elle ne le sait pas vraiment. Dormir. Dormir, pour ne pas penser. Dans la salle de restaurant, observer le réceptionniste, la famille de vacanciers (deux parents, Paul et Cécile, deux enfants, Justine et Lucas), la serveuse, comme à travers un brouillard ouaté. Jeanne ne se rend pas vraiment compte, elle goûte, un brin timorée, la liberté dont elle jouit tout à coup. La solitude, aussi. Et puis elle s'immisce, sans vraiment s'en apercevoir, dans l'univers de ceux qu'elle côtoie : les vacanciers l'ont remarquée, les employés également. Insensiblement, le point de vue (toujours interne) se déplace : d'abord centrée sur Jeanne, la narration glisse successivement sur le réceptionniste, puis sur Lucas, la serveuse, Paul, Justine et enfin Cécile. Un par chapitre. Chacun des personnages perçoit Jeanne à sa manière, l'invente dans les détails qu'il ne peut connaître, brode autour de ceux qu'il peut deviner. L'incorpore en pensée (pour les adultes) ou en actes (pour les enfants) à sa propre vie, infiniment plus trouble et moins paisible que ne le laissent supposer les apparences. Jeanne, quant à elle, s'efforce de faire illusion. De passer non pas pour ce qu'elle est - une jeune femme en manque de repères - mais pour une simple vacancière, une touriste de passage. Peine perdue.

« - Vous voulez une chambre avec vue sur la mer ? » Mais qu'importe la vue sur la mer, finalement, qu'importe le décor ? Seuls comptent les personnages, leurs interactions, leur intériorité. A la manière d'Anna Gavalda (mais le style et l'élégance en plus), Hélène Gaudy met en scène des personnages en quête d'eux-mêmes, foncièrement insatisfaits et par là même profondément humains. Sa plume, précise et évocatrice, dévoile avec une aisance déconcertante un tissu de sentiments et de ressentis infiniment complexe, sans jamais se départir de sa retenue ni de son humilité.

« - Vous voulez une chambre avec vue sur la mer ? » Une question anodine peut cacher une oeuvre de la plus grande originalité. Humain et sensible, Vues sur la mer est un roman intelligent, où chacun devrait pouvoir retrouver une part de soi-même. Un livre déroutant et séduisant, par un auteur plus que prometteur et dont on attend d'ores et déjà avec impatience les prochaines productions.