8/10Les Vierges suicidées (Virgin Suicides)

/ Critique - écrit par Kassad, le 16/09/2004
Notre verdict : 8/10 - Virgile l'inspire (Fiche technique)

Virgin Suicides est un premier roman. Il faut se le dire et se le répéter pour s'en convaincre. Il ne s'agit que d'un premier roman ! La vie est injuste et les talents ne sont pas équitablement répartis entre les écrivains. Jeffrey Eugenides en a eu plus que sa part. Premier roman qui fut aussi le substrat du premier film de Soffia Coppola encensé par la critique et le public. Première oeuvre anonçant déjà le romancier hors norme de Middlesex.

Grosse-pointe dans le Michigan est la banlieue riche de Detroit. Le temps y coule doucement comme dans Happy Days. On pourrait le voir comme une carte postale du rêve américain, à moins que comme Tim Burton, et son Edward au main d'argent vous ne le viviez comme un cauchemar. Tous les voisins se connaissent, et quand à l'automne les feuilles tombent des arbres ils se réunissent pour les ramasser. Il les brûle puis font un repas commun. Ni vandalisme, ni crime, rien ne semble pouvoir troubler le calme paisible de cette gentille banlieue. Rien jusqu'au suicide des cinq filles Lisbon. Sans raisons apparentes, sans revendications, les cinq beautés virginales décident de se donner la mort.

Virgin Suicides tente de comprendre le pourquoi de ces suicides. Il est présenté comme un rapport monté par des adolescents qui connaissaient les filles Lisbon. Il s'agit donc d'un roman qui pose clairement ses limites : c'est un récit du point de vue des garçons qui ne comprennent pas et cherchent désespérément une explication. On pourrait craindre une parabole facile de l'incompréhension entre les sexes. Ce serait compter sans la finesse et la sensibilité d'Eugenides. Entre les rapports médicaux, les confessions glissées entre deux portes et les conversations téléphoniques, Eugenides arrive à peindre avec une douceur et une efficacité redoutable ces rapports tissés de peur, d'incompréhensions et d'espoirs qui peuvent s'établir entre de jeunes adolescents. Le passage où le groupe de copains et les filles Lisbon s'échangent des messages par téléphone en choisissant des chansons en est un exemple typique.

Le propos ne se limite pas à cet aspect fait divers. L'autre thème majeur, développé en parallèle et en philigrane, est l'évolution d'une société qui ne se posait pas de questions (les USA au lendemain de la seconde guerre mondiale) vers la modernité et ses contradictions. L'épisode sur les ormes contaminés est à la fois évocateur du suicide, de la disparition, des filles Lisbon mais il marque aussi la fin d'un "certain" mode de vie, d'une certaine insouciance. On sent dans ce roman les prémisses de la grandiose fresque qu'est Middlesex. Cependant si je devais trouver une limitation à Virgin Suicides ce serait celle de la règle que s'est fixé l'auteur. En se mettant dans la peau d'un adolescent et en restreignant ainsi le champs de son discours il nous offre un récit pétri de finesses mais auquel il manque un souffle transcendant qui en aurait fait un pur chef-d'oeuvre. Mais bon ce n'était "qu'un premier roman" et je connais beaucoup d'auteurs, biens connus qui auraient volontiers bazardé toute leur oeuvre en échange d'un tel ouvrage...