9/10Middlesex

/ Critique - écrit par Kassad, le 23/10/2003
Notre verdict : 9/10 - twilight sex (Fiche technique)

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Calliope Stephanides, le héros de Middlesex, est un mutant. D'ailleurs on pourrait plutôt parler d'héroïne : Calliope naît femme avant de changer de sexe à l'adolescence pour devenir homme. C'est un hermaphrodite, médicalement il ne s'agit que d'une mutation récessive. « L'identité de genre chez les pseudohermaphrodites masculins par déficit en 5-alpha-réductase de type 2 » serait un titre approprié pour un article scientifique traitant de ce sujet. Mais voilà Jeffrey Eugenides n'est pas un médecin. C'est un romancier, qui plus est un grand romancier.

Imaginez un instant que vous ayez été élevé(e) dans un genre pour finalement apprendre que vous êtes de l'autre sexe. Dérangeant serait un bien faible mot pour décrire l'impression ressentie. Eugenides part de ce postulat pour nous retracer la vie de Calliope, et bien plus que sa vie en fait. Il trace sur trois générations l'exode d'une famille Grecque, chassée par la guerre, vers les Etats-Unis. De Desdemona, la grand-mère, à Calliope la petite-fille devenant petit-fils Eugenides pose un fil d'Ariane fait de soie. De l'incendie de Smyrne par les Turcs en 1922 aux émeutes raciales de Détroit dans les années soixante en passant par la grande dépression de 1929, la seconde guerre mondiale, la prohibition... c'est une véritable fresque de cette fin de vingtième siècle qu'Eugenides nous peint. Le plus impressionnant est que sur une trame aussi riche que celle-là il parvient à garder un ton intimiste. On vit le questionnement identitaire de Calliope de l'intérieur. C'est une étrangère dans son corps tout comme sa grand-mère est restée une étrangère, une émigrée, dans son pays.

C'est là que la comparaison fait mal. Je pense notamment à L'ignorance de Kundera, un roman qui sous quelques aspects traite de thèmes proches (la douleur liée à l'émigration, l'intégration, la perte des racines...) mais de manière incomparablement plus faible ! Si le livre de Kundera est poussif, Middlesex non seulement possède un souffle épique qui vous emporte mais en plus se paye le luxe d'être écrit dans un style dont je suis sûr que Kundera lui-même serait jaloux. La construction alternant les époques est assez classique mais le ton employé par le narrateur (Calliope) rappelle celui de Jacques le fataliste et son maître ou encore Vie et opinion de Tristram Shandy. De plus la présence de passages comiques aussi bien que d'autres émouvants finit par donner l'image d'un roman total touchant tous les styles, mélangeant poésie et descriptions scientifiques sèches, réalité et romance. Bref un roman hybride par excellence tout comme Calliope à la fois femme et homme.

Que Middlesex se soit vu attribuer le prix Pulitzer 2003 arriverait presque à me faire croire que tous ces prix littéraires ne sont finalement pas uniquement que des « coups » commerciaux. Parfois ce sont de véritables chefs-d'oeuvre qui sont primés. Middlesex en est un, aussi puissant que fin il restera longtemps dans votre mémoire si vous choisissez de le lire.