Culte - Ian Soliane
Livres / Critique - écrit par C.Saffy, le 09/10/2013 (Tags : prix litterature maitre ian soliane livre jeux
Ceux qui connaissent les précédents livres de Ian Soliane le savent : sa bibliographie est hantée par le baiser de la mort. Il n’écrit pas des romans, mais des soliloques étouffants, où il n'existe pas d'échappatoire, où il est question de meurtres, d’inceste, de deuil d’une violence terrible. Ian Soliane signe ici son retour à La Musardine après un premier texte publié en 2000 – La Saigne – qui compilait déjà toutes les obsessions de l’auteur en racontant le parcours d’un tueur amoral hanté par le meurtre et le sexe le plus impur, le plus ignoble. Délaissant l’univers familial vécu comme une prison haute sécurité, Ian Soliane choisit de se recentrer sur un livre de sexualité extrême avec Culte.
On pourra presque s’étonner du choix de ce roman en plein rentrée pour La Musardine qui, depuis quelques temps, nous avait plutôt habitué à de la chick-lit olé-olé ou des textes franchement dépassés pondus au kilomètre par Eric Mouzat – pour ne pas le citer. Car Culte est inconfortable, désagréable, un texte court, mais d’une crudité et d’une violence telles qu’il est impossible de le lire d’une traite sans céder à l’écœurement.
On avance donc péniblement dans ce rapport de stage rédigé par Clémentine, soumise masochiste envoyée au « Ranch » par Chris, l’amour de sa vie. Elle a quarante-cinq ans, elle est lourde, molle, un peu grasse et supposément noire puisqu’il est fait mention de ses cheveux crépus. Et mère de deux filles auxquelles elle pense souvent durant ces sept jours de dressage, mais tout de même moins qu’à ce Chris, l’ombre qui plane et régit son être, son plaisir et ses souffrances. Ici, il n’est nullement question de SM joyeux ou amoureux, on est plutôt en présence de son versant le plus pathologique, le plus distancié où l’idée d’une ascèse dans la douleur pour s’oublier résonne à chaque page. Car pendant sept jours, ce que relate Clémentine froidement, sans affect ni sentiment est l’expression de l’image la plus sordide que l’on peut se faire du SM : privation de sommeil et de nourriture, coprophagie forcée, zoophilie à l’aide de bergers allemand sous les yeux d’un immonde vieillard en fauteuil roulant, mise à disposition de tous les orifices génitaux selon le bon vouloir des Maitres de stage, bondage qui tourne au drame, utilisation des armes blanches et de l’électricité.
Ce n’est pas tant les pratiques en elles-mêmes qui laissent cette impression de nausée, que l’esprit dans lequel elles sont accomplies et racontées. Car bien que Clémentine parle sans cesse avec dévotion de Chris, on ne sait si ce stage est acquitté pour lui complaire, si elle y prend réellement plaisir, si elle accomplit un véritable chemin de croix qui ne se termine que lorsqu’il vient la chercher au terme des sept jours de stage. Ce mot de dévotion serait donc en relation directe avec le titre du livre, à prendre sans acception au sens le plus religieux du terme ? Un enfermement que ce stage, avec ses disciples, ses mises à l’épreuve servie par une écriture dont le dispositif est une véritable suffocation : on entre au Ranch en même temps que les protagonistes, on n’en sortira que lorsqu’ils en seront libérés. Entourée de stagiaires objectisés à l’extrême car désignés uniquement par une caractéristique – l’Arabe adepte des tortures à l’électricité tiens donc, l’ado dont l’âge reste flou, l’actrice supposément très connue… - et des Maitres et Maitresses aux sobriquets tels que Canne, Noir, Kyoshi ou encore Nounou, Clémentine est une narratrice comme anesthésiée par ce qui se passe et bien qu’elle évoque régulièrement ses orgasmes lors de multiples épreuves, elle parait s’en détacher en permanence. On notera une obsession chez elle et ses Maîtres pour la miction, l’acte d’uriner revient sans cesse, une véritable litanie liquide qui rythme Culte. Une métaphore du soulagement au sens le plus plein du terme ?
On ne sort pas du livre de Ian Soliane sans répulsion, on le quitte avec un certain soulagement, mais aussi une vraie interrogation : quel était le moteur de l’auteur en écrivant un texte tel que Culte ? D’autant qu’histoire de verrouiller ce rapport de stage à la limite du factuel, l’auteur adjoint en annexe le détail de son règlement : la tenue à porter lors de l'arrivée, l’obligation de produire papiers d’identité et certificat médical, de signer une décharge au terme du stage lors de la restitution du sujet au propriétaire, les vêtements à emporter, la somme qu’il coûte… Comme s’il fallait rappeler à tout prix que cette parenthèse (des)enchantée était ancrée dans une réalité contractualisée, voulue. Comme si l’auteur se déchargeait de son texte en affirmant « Regardez, ils le veulent bien, ils font cela de leur propre gré, ils paient pour ça, c’est un acte consentant entre le dominant et le dominé ». Le fait est que ses personnages font preuve d’une abnégation, d’une opiniâtreté pour exécuter les épreuves qui appelle le respect mais surtout beaucoup de questionnements.
On laissera donc Culte sur ces points d’interrogations, à ne pas savoir si ce texte est d’une effarante gratuité ou un exercice de style d’une perfection glacée.