8/10Le zoo de Mister Peek

/ Critique - écrit par hiddenplace, le 21/01/2010
Notre verdict : 8/10 - A fleur de peau d’ours ou de croco (Fiche technique)

Parce qu'avec humour et fantaisie, il fait état d'un de nos travers universels et incessibles, le changement d'humeur, Le zoo de Mister Peek s'adresse à un tout un chacun.

Parce qu'il suffit d'un tout petit rien, parfois, pour que subitement la journée s'annonce maussade, pour que le monde entier semble être une jungle hostile, pour se sentir aussi zéro que Toto et ses yeux ronds. Et a contrario, parfois un autre petit rien viendra changer la donne, inverser la tendance et nous faire voir la vie en rose. C'est exactement le cas de Mister Peek, gardien de zoo de son état. Comme nous tous, aussi bien petits enfants à fleurs de peau que grands adultes lunatiques, il a ses habitudes, ses grigris, pour s'assurer une journée réussie : il porte notamment sa veste préférée, dans laquelle il se sent quelqu'un d'important. Mais ce matin, par un mystérieux hasard, son costume est trop serré, et tout semble tourner au vinaigre. Mister Peek en pâtit, se sent soudain un moins que rien... et ses animaux aussi, pensant que les reproches s'adressent à eux.

Illustration de Kevin Waldron
Illustration de Kevin Waldron
issue de : Le zoo de Mister Peek
éditions Didier jeunesse, 2010
Pour son premier album, Kevin Waldron nous offre une fable rigolote et bien construite, en laquelle se reconnaîtront des lecteurs de tout âge et de tout bord. Un cadre fétiche si cher à l'imaginaire enfantin : le zoo et ses habitants aux personnalités bien caractéristiques. Un protagoniste adulte au tempérament imprévisible, bougonnant dans sa bulle et pas du tout attentif au monde qui l'entoure. Un petit garçon espiègle qui rétablit l'équilibre des humeurs d'un seul geste bien senti. Et étonnamment, les rôles et les responsabilités sont aussi inversés : Mister Peek parce qu'il est contrarié, néglige sa mission (celle de s'occuper de son zoo), tandis que son fiston s'en charge spontanément (il y balaie les feuilles mortes).

Par sa structure méthodiquement pensée, l'album présente des similitudes avec le malicieux récit des Deniers de Compère Lapin : une architecture en miroir en deux parties, où chaque page de la seconde partie répond à une page de la première. En effet Mister Peek, mal à l'aise dans sa veste trop serrée, énumère chaque petit travers de son existence en présence d'une famille d'animaux qui se sentent alors visés. A l'opposé, lorsque son souci vestimentaire est  résolu, il égrène alors toutes ses sources de joie en revenant sur ses pas, complimentant au passage les mêmes bestioles qu'il avait malmenés précédemment. La trame du livre repose donc entièrement sur cette double lecture, montrant au premier plan un personnage principal en pleine introspection, et en second plan les pauvres bébêtes nous transmettant les réactions et bouleversements qui en découlent. A travers ce récit à la fois symbolique et décalé, l'accent est mis sur cette facilité à basculer d'un extrême à l'autre, parfois sur la base d'une simple broutille en apparence anecdotique. Il en ressort également que l'humeur, bonne ou mauvaise, peut être vraiment contagieuse, puisque sans en être conscient, le gardien transmet sa mélancolie, puis son euphorie, à tous les animaux du  zoo. Le monde animalier, ici utilisé comme une personnification des états d'âme de Mister Peek, fait mouche à chaque page, toujours vecteur efficace d'émotions dans le regard des enfants. Et par sa chute en pied de nez, l'auteur donne à l'ensemble du récit un ton encore plus léger, et boucle la journée du protagoniste en l'inscrivant dans une sorte de cycle qui peut renvoyer... au début de l'histoire.

Illustration de Kevin Waldron
Illustration de Kevin Waldron
issue de : Le zoo de Mister Peek
éditions Didier Jeunesse, 2010
Par son illustration dont l'empreinte désuète rappelle une imagerie des années 60, Kevin Waldron donne un cachet à la fois charmant et nostalgique à ses personnages et à sa faune truculente. Aussi ironique et fluide que son texte, son trait se fait souvent rond et caricatural, renforcé par une trame broussailleuse parfois sauvage et spontanée, parfois plus organisée. L'ensemble est consolidé par une ambiance colorée chaude, tout en teintes ocres, brunes, bleues et verts bouteille, infusant à l'album une sensation de chaleur vraiment accueillante et une envie d'autant plus forte de se reconnaître en chacun des personnages. Au fil des pages, le choix des compositions faisant varier les points de vue met parfaitement en parallèle les deux niveaux de lecture, et on sourit volontiers d'être le témoin d'un quiproquos aussi absurde. On se délecte également à loisir des anecdotes amusantes mettant en scène la petite vie à part des animaux.

Parce qu'avec humour et fantaisie, il fait état d'un de nos travers universels et incessibles, le changement d'humeur, Le zoo de Mister Peek s'adresse à tout un chacun. Par un récit dont la structure est efficacement construite, et illustré avec humour, charme et dynamisme, l'album  saura toucher les très jeunes lecteurs, mais aussi les plus grands qui oublient souvent que si l'habit ne fait pas le moine, il suffit parfois d'être à l'aise dans ses baskets (...ou sa veste de travail), pour que le monde entier nous sourit.