Trop bien élevé
Livres / Critique - écrit par Kei, le 26/01/2008 (Tags : bien jean denis bredin livres trop  
Un texte parfois joli mais pas toujours prenant et un sujet qui semble trop romancé par moments. Le plaisir de lecture et l'immersion dans cette autobiographie s'en ressentent.
Excusez-moi, oui, excusez-moi si je suis là, car je vous gêne. Si vous m'avez bousculé, c'est que je n'aurais pas dû me trouver sur votre chemin. Si vous êtes de mauvaise humeur, je dois y être pour quelque chose. Comment vivre, marcher, respirer sans déranger ? Frapper avant d'entrer, s'effacer dans les portes, sourire, toujours sourire... Il ne suffira pas d'une vie entière pour se faire pardonner d'exister.
Ce quatrième de couverture promet un récit intimiste. Celui de l'enfance d'un homme né dans la haute bourgeoisie parisienne en 1929 et de son éducation conforme aux règles de ce milieu. On s'attend à voir à travers ce petit bout de la lorgnette un témoignage d'une époque et des règles sociales qui la régissaient. L'éducation reçue déterminant bien souvent totalement les interactions d'un homme avec son entourage, ce récit s'annonçait plus que passionnant. Après tout, 1929 est la période pré-Dolto. Une période où l'enfant est reconnu comme une chose précieuse, mais qui n'a pas encore accédé au statut qu'on lui connaît aujourd'hui.
Jean-Denis Bredin, auteur et protagoniste principal du livre, est né d'un père juif et d'une mère catholique. Elle est l'incarnation du raffinement, de l'amour des arts et de l'amour du beau jusque dans ses frivolités. Il est l'incarnation de la vertu, du travail acharné, de l'existence toute entière dédiée au labeur. Ils sont séparés, divorcés. Le jeune homme vit chez son père, dont il épouse les valeurs. Puis vient la mort de celui-ci, la guerre et les années de disette. Et l'on découvre un enfant torturé. Un enfant qui s'efface totalement devant les adultes. A la fois très naïf et trop mûr. Sa très grande conscience du monde qui l'entoure et des relations humaines qui y prennent place pourrait faire de lui une personne particulièrement épanouie, mais il s'applique à se retirer du monde, à devenir totalement lisse, en intériorisant sa personnalité, en l'étouffant sous d'épaisses couches de vertu, comme s'il n'avait pas l'impression d'exister (plus que le sentiment de n'avoir pas le droit d'exister). Une sorte d'adulte ignorant qu'il à droit à une vie lui aussi.
Un témoignage d'une époque révolue qui n'a hélas pas trouvé écho en moi. Trois générations nous séparent et elles dressent un mur difficilement franchissable. Tout cela paraît trop irréel, trop gros, trop improbable alors qu'il n'y a rien de plus tangible. La faute en incombe sans doute également au mode de narration. Le texte n'a rien de la douce fausse simplicité que l'on apprécie tant. Le travail fourni pour ce livre est palpable aussi bien à travers les passages où les figures de style alambiquées (mais le plus souvent pertinentes) sont la norme que dans ceux où il se livre à un exercice de style particulièrement joli en se mettant alternativement dans sa propre peau, à 10 et à 80 ans. On ne sent pourtant jamais l'innocence de la jeunesse. Parce que cette innocence a été perdue trop tôt ou bien parce qu'il n'arrive pas à la retranscrire ? Le personnage décrit est beaucoup trop mûr et ses réflexions très loin au delà de ce que conçoit un enfant de cet âge pour que l'on puisse opter sans sourciller pour la première option.
C'est cette même innocence, cette même semi-incompréhension du monde qui empêche finalement de retrouver l'enfant derrière l'adulte. Et sans rien remettre en question, on est en droit de se demander où s'arrêtent les sentiments de l'enfant et où commencent ceux de l'adulte qui se penche sur une période de sa vie.
Le plaisir de lecture est quant à lui perpétuellement troublé par cette question de la véracité. Si les faits sont eux irréfutables, le témoignage, lui, parait parfois un peu romancé. Une lecture instructive certes, mais qui passionne difficilement et dans laquelle un jeune lecteur aura du mal à trouver des points de référence.