La Trilogie divine - Tome 1 - SIVA
Livres / Critique - écrit par Jade, le 09/01/2006 (
Ces dernières années, Philip K. Dick s'est vu projeté sur le devant de la scène, avec les adaptations de certaines de ses oeuvres au cinéma (Minority Report, Paycheck, etc...). Il serait pourtant un peu prématuré de le classer au rayon de la science-fiction pure et dure. Caractériser un auteur aussi prolifique que Dick relève clairement de l'impossible, mais une des pistes les plus engageantes serait de le penser comme un auteur d'anticipation intéressé par le mystique et la folie. Comme il est facile de le constater, cette expression hasardeuse (qui n'engage d'ailleurs que son auteur) ne colle que moyennement à ce que l'on aura pu voir des oeuvres de Dick au cinéma, avec une exception discutable pour ce qui est de Blade Runner, et s'il fallait trouver un équivalent cinématographique à un roman de Dick, ce serait sans doute le Pi de Darren Arronofsky.
VALIS est, chez Dick, une oeuvre encore à mettre à part. Premier volet de ce que l'on appellera plus tard la Trilogie Divine, cette oeuvre est assez largement l'une des plus personnelles de son auteur, car elle raconte sa propre expérience de contact avec une puissance divine, et la folie dans laquelle elle le plongea des années durant, jusqu'à sa mort en 82, un an après la publication de VALIS, à vrai dire.
Pourtant, difficile de croire à un récit autobiographique en lisant les premières pages. Le héros, affublé du ridicule sobriquet de Horselover Fat, n'est même pas narrateur de cette histoire qui débute par une histoire de suicide et d'enterrement, prémices à l'atmosphère de réjouissances intenses qui régnera sur toute l'oeuvre de la première à la dernière page. Bien vite, le narrateur prétend être ce fameux Fat dont il parle à la troisième personne. Nous avons pourtant affaire à un narrateur faisant partie intégrante du récit.
Un beau soir, le narrateur et Fat (qui ne seraient donc qu'un seul et même personnage, si vous avez bien suivi) se retrouvent seuls, et une lumière verte les inonde. Le narrateur n'a rien vu. Fat est quant à lui bouleversé : le doute n'est pas possible, il vient de voir une puissance divine, et se résout à trouver la raison de cette vision.
A l'image d'un Horselover frappé par la connaissance supérieure et s'apprêtant à partir à sa recherche, il faudra au lecteur un coeur bien accroché et quelques cachets d'aspirine pour espérer finir VALIS. La réussite de ce livre est de transmettre à la perfection (à défaut d'exactitude? Qui sait...) la folie la plus absolue. Pas le foutoir d'un homme qui ne sait plus où il en est, mais plutôt la pensée claire, nette, concise (ici très bien véhiculée par le style simple et élégant de Dick) de quelqu'un tout à fait au courant de ce qui lui arrive, mais qui se perd dans des interprétations paranoïaques de son expérience.
Car VALIS parle aussi d'une quête, celle de Horselover Fat vers l'origine de la pensée divine qui l'a contactée. Il faut être fou pour se croire sujet à une intervention divine, certes. Mais après? Quand bien même cela nous arriverais, que faire d'autre que chercher l'origine de ce message? A-t'on eu affaire à une intervention volontaire? Horselover est-il un nouveau prophète?
Une seule manière de trouver la réponse, chercher dans des textes de tout type, religieux ou littéraires, traitant d'un sujet similaire. Le plus simple élément constitue un indice, et Horselover commence à se créer un monde propre, toute une mythologie que lui seul peut comprendre, s'enfermant peu à peu dans un univers et une cosmogonie plus ou moins farfelue. Du moins jusqu'au jour où sa folie trouve un débouché sur le monde réel. Alors toutes les recherches, qui paraissaient alors comme des délires désespérés d'un fou se retrouvent validées en l'espace de quelques instants.
Ce retour vers la réalité, le lecteur l'expérience comme un nouveau chamboulement dans ses repaires déjà renversés de toute part. Il est pourtant nécessaire, car jusque là le lecteur ne pouvait que porter un regard apitoyé envers Horselover Fat, un vrai raté s'il en est, qui sombre tout simplement dans la folie. Maintenant que sa névrose est corrigée, qu'elle a prise sur la réalité, Fat devient un héros de roman à part entière, un vrai homme qui va se battre pour sa propre raison. Il gagne ainsi l'estime du lecteur, qui de même prend partie au roman, alors qu'il était auparavant un simple spectateur, et Fat prend une dimension toute humaine qu'il n'avait pas en tant que simple archétype de la folie. Le lecteur va ressentir tout ce que ressent Fat, et espérer avec lui. C'est bien sûr à ce moment que le nom de Horselover Fat rejoint le domaine du réel, et après un splendide cours de linguistique, que le surnom devient nom propre.
VALIS est une oeuvre déstabilisante dans la mesure où il est impossible de dire où commence la part de la réalité dans ce roman. Il met bel et bien scène Philip K. Dick lui-même, qui nous parle de fait avérés, et cite parfois ses propres romans. Cependant Valis appartient aussi clairement à la fiction, ne serait-ce que dans la manière dont le narrateur se découpe en deux personnages distincts. Pourtant, VALIS a aussi, surtout, tout les caractères d'une expérience humaine, touchant le lecteur à mainte fois, notamment par l'impuissance de Fat à avoir une emprise sur la réalité. Ce roman a un aspect humain indéniable, un aspect humain quelque peu tordu peut être, mais aussi très moderne et original. Le plus beau étant qu'avec tout cela, l'oeuvre arrive à se terminer sur un poignant message d'espoir.
VALIS est donc un grand chef d'oeuvre de la littérature, digne de figurer dans le patrimoine de l'humanité, tant il possède cette part d'universalité qui fait que tout un chacun saura en faire une lecture différente, dont l'aspect autobiographique mélangé au merveilleux le posent en mythe moderne.
Reste à espérer que l'adaptation à venir de A Scanner Darkly puisse illustrer cet aspect de l'oeuvre de Dick.