8.5/10Sagas islandaises

/ Critique - écrit par nazonfly, le 29/12/2008
Notre verdict : 8.5/10 - Sagave (un peu) (Fiche technique)

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Cette traduction de Sagas islandaises par Régis Boyer est le meilleur moyen pour dépasser les préjugés que l'on peut avoir sur ces peuples qu'on appelle les Vikings, et pour finalement les admirer.

Dans la brume du petit matin, un bateau fend la mer. La figure de proue, en forme de dragon, perce le brouillard. A bord du drakkar, des brutes sanguinaires, blonds comme les blés et hurlant le nom de Thor, n'attendent qu'une chose : débarquer et piller le pays. Voilà ce que l'imaginaire collectif a retenu des peuples du Nord, des héros des sagas. Tout au plus, accorde-t-on parfois à Eric le Rouge l'honneur d'être le premier à avoir découvert l'Amérique (plus de 500 ans avant Christophe Colomb et en oubliant la colonisation des tribus asiatiques passées par le détroit de Béring). Las, la vérité est bien loin de ce portrait fantasmé, comme le montre Régis Boyer dans son recueil de Sagas islandaises.

Qu'est-ce qu'une saga ?

Composées pour la majeure partie entre la fin du XIIème siècle et le milieu du XIVème, les sagas évoquent l'âge d'or de l'Islande, de 930 aux années 1000. Cette unité de temps (et de lieu, l'Islande étant un petit pays) permet de retrouver d'une saga à l'autre les mêmes personnages : Gunnarr, Snorri, Njall... comme pour donner un poids historique à un ensemble de récits mi-légendaires, mi-réels.

Une saga n'est pas, comme on le croit souvent, une épopée, constituées de faits d'armes extraordinaires, elle est bien souvent la simple histoire d'une famille, d'un homme, parfois d'une contrée. Une histoire dont la poésie scaldique, l'application des lois, la généalogie et quelques coups de hache sont les principaux motifs. C'est ainsi que le style ne s'attarde pas sur d'inutiles encorbellements. La saga va directement au but, après, malgré tout, quelques longs passages de généalogie propres à rebuter le lecteur. Mais le style est  en général concis, efficace. L'auteur ne s'attarde pas sur la description des lieux et des hommes; l'amour est le grand absent des sagas; le verbe est rare mais l'action est omniprésente.  Mais ce qui marque surtout, c'est cette apparente absence de subjectivité de l'auteur : il ne juge pas, il décrit et raconte. Tout simplement. De ce fait, le monde islandais des sagas n'est pas un monde manichéen avec les bons d'un côté et les mauvais de l'autre : les hommes évoluent de l'un à l'autre côté de l'échiquier, comme menés par une main divine qu'on appelle destinée. Ce qu'un lecteur moderne pourrait considérer comme une mauvaise action ne se révèle finalement que comme la conséquence logique d'un événement précédent. En ce sens, les sagas islandaises sont un véritable dépaysement, de par l'écriture, de par les motifs abordés, de par la psychologie des personnages. Ces personnages qui nous font encore trembler par la simple évocation de leur nom : Vikings.

Qui étaient donc les Vikings ?

Oublions d'entrée ce terme impropre de Viking, devenu péjoratif dans la langue nordique des sagas, et appelons-les Islandais, Norvégiens ou Groenlandais. Car ce peuple, aux origines germano-scandinaves, est un peuple de voyageurs,  navigant d'est en ouest, de Norvège jusqu'à ce fameux Vinland dans La Saga d'Eirikr le Rouge, que certains auteurs ont rapproché du Labrador. Ces voyageurs infatigables étaient aussi des poètes, des scaldes selon la dénomination approriée. Point de chansons à boire ici, mais plutôt des chants célébrant la victoire des héros. Cette poésie scaldique est très cadrée, dans le type de vers comme dans les métaphores employées. Ainsi le vocabulaire se doit d'éviter de nommer précisément les êtres et les choses : il faut passer par des synonymes (heiti) ou de longues périphrases (kenningar) dont le sens est souvent obscur au lecteur novice. Ainsi le rougisseur d'épée remplace le guerrier, le saumon du sol est le serpent, le renne des cordages est le bateau. Ces figures de style donnent aux visur (autre nom de ces poésies) un charme indéniable.  A tel point qu'on se demande comment ces admirables poètes pouvaient être aussi procéduriers dans leurs lois. C'est en effet une constante dans toutes les sagas, la loi est omniprésente et on ne peut faire n'importe quoi. Seuls quelques lögmadr connaissent parfaitement la loi, comme Thorhallr et Njall dans La saga de Njall le Brûlé. Dans cette saga, un long procès se déroule au fil des pages, avec chaque camp qui essaie d'invalider les procédures de l'autre camp. Une fois l'annulation du procès prononcée, il ne reste bizarrement qu'une seule solution : attaquer. Car les  les Islandais sont de fiers guerriers, prompts à s'enflammer et à se battre pour leur honneur, notamment poussés par leurs femmes qui ne servent pas que de faire-valoir. Ainsi on se souvient presque autant de l'héroïque résistance de Grettir alors qu'il est banni, de Gunnarr qui pouvait frapper d'une main et décocher une flèche de l'autre et qui maniait si bien l'épée qu'on aurait dit qu'il y en avait trois, que de Hallgerdr et Bergthora poussant leurs maris à s'entretuer pour l'honneur.

Mais ceci n'est évidemment qu'un léger aperçu de cet énorme pavé de près de 2000 pages, dont 500 sont exclusivement consacrées aux notes explicatives. On aurait aimé parler, dans cette critique, des berserkir, ces guerriers qui entrent en fureur lors de la bataille, de la christianisation de l'Islande, de Gisli Sursson ou de Snorri le Godi. Car c'est tout un monde inconnu qui s'ouvre au fil des pages sous la traduction et les remarques de Régis Boyer, un ensemble historico-légendaire qu'on n'a pas l'occasion de rencontrer habituellement, au contraire des sempiternels Chevaliers de la Table Ronde, ou des aventures grecques.  Ainsi le monde des Islandais est un monde d'hommes et de femmes, régi par l'honneur et surtout la destinée, contre laquelle il est impossible de lutter. Même la magie et la religion ne peuvent rien contre le destin. Quant aux Dieux, ils sont étrangement absents des sagas, comme si leur temps était déjà passé.

Pour découvrir ce monde, le meilleur moyen est encore de lire, saga par saga, texte après texte, ces Sagas islandaises. Car s'enfiler ce gros livre est presque indigeste. Les auteurs anonymes de ces récits se perdent en effet souvent dans de longues généalogies qui peuvent lasser le lecteur. Sans compter que le style très laconique peut facilement déstabiliser le lecteur.

Ce livre contient les sagas suivantes :

Saga d'Egill, fils de Grimr le Chauve
Saga de Snorri le Godi
Sagas du Vinland (Saga d'Eirikr le Rouge, Saga des Groenlandais, Dit des Groenlandais)
Saga des gens du Val-au-Saumon (et son appendice : le dit de Bolli)
Saga de Gisli Sursson
Saga des frères jurés
Saga de Havardr de l'Isafjordr
Saga de Grettir
Saga des chefs du Val-au-Lac
Saga de Glumr le Meurtrier
Saga des Gens du Svarfadardalr
Saga de Hrafnell Godi-de-Freyr
Saga de Njall le Brûlé