La nuit de Léon
Livres / Critique - écrit par hiddenplace, le 13/12/2009 (En choisissant de coucher sur le papier l'histoire de ce vieux Léon par Yannick Jaulin (histoire déjà entendue dans Merlicoquet), de le marier à l'univers velouté et poétique d'Elodie Nouhen, les éditions Didier Jeunesse nous offrent un bel album de Noël, qui de surcroît a le mérite de s'écarter des sentiers battus du genre.
Si l'on souhaite verser dans le manichéisme le plus primaire, il existe bien deux mondes, deux réactions distinctes et prononcées à l'approche des fêtes de fin d'année. Il y a ceux qui attendent ce moment depuis le réveillon de l'année précédente : souvent ceux qui sont enfants ou ont des enfants eux-mêmes. Et puis il y a ceux qui le méprisent de toute leur énergie, et qui l'associent à la plus grande farce hypocrite et commerciale jamais conçue. Ca c'est pour les principes. Mais dans les faits, autour du mot « Noël », résonnent plusieurs sons de cloche, plusieurs attentes ou appréhensions, plusieurs sentiments ambivalents et nuancés. Quand on est petit, c'est l'excitation, la magie, le bouillonnement, toutes ces émotions qui pour beaucoup de marmots (du moins dans les cultures où l'on fête Noël) transforment la fin de l'année en cérémonie dédiée presque exclusivement à leur personne. Quand on est grand, surnage un mélange de fatigue mêlé de panique à l'idée qu'on arrive à la mi-décembre et que l'achat inévitable des cadeaux n'est pas encore amorcé. Mais il existe une autre catégorie, plus discrète : les indifférents. Ceux pour qui ce jour-là est comme les autres, baigné de solitude, exempt de cadeaux, de bisous familiaux, et passe aussi vite qu'il n'est arrivé. Serait-ce le cas de Léon ?
Illustration d'Elodie Nouhen
issue de La nuit de Léon, texte de
Yannick Jaulin, éditions Didier Jeunesse, 2009Yannick Jaulin, conteur et comédien vendéen, nous avait
déjà captivé par ses histoires dans le CD Merlicoquet et autres contes de
randonnées. L'album La nuit de Léon en reprend textuellement (à
quelques détails près) l'un des récits, « Le Noël du bounome de
Glla » ; mais cette fois-ci il est intégralement illustré par Elodie
Nouhen, qui avait donné vie uniquement à la pochette du CD dans Merlicoquet.
Comme nous l'évoquions plus haut, Léon est un vagabond sans abri et sans le
sou. Il attend Noël autant qu'il attend les autres jours, regardant d'un œil
amer les foyers festoyant derrière la fenêtre de leur maison cossue, et ne
daignant pas lui ouvrir leur porte. Mais par l'intermède d'une femme sur un
vélo rouge, il se retrouve finalement lui aussi dans une maison...enjominée.
Ou ensorcelée pour ceux qui ne parlent pas couramment le patois vendéen. Il y
fait la rencontre d'un petit « bounome » accompagné d'un bruit
particulier : petetonc... petetonc. Ensemble ils passent de la
solitude glaciale à une chaleur réconfortante, et de leur cohabitation émerge
le sens véritable des mots « partage » et « hospitalité ».
Avec cet éternel appétit pour les narrations poétiques, drôles et imagées, de ses textes à la fois justes et musicaux, Yannick Jaulin nous offre une fable de Noël plutôt originale et audacieuse. Pour une fois, cette fête n'est pas présentée sous son aspect gentiment naïf et euphorique, mais par le biais de personnages marginaux, imparfaits et désabusés. Ce n'est pas le merveilleux qui domine, mais c'est surtout l'essence même de ce que l'idéologie prétend véhiculer : la générosité et la convivialité, concepts qui apparaissent au fil de l'histoire. L'auteur transmet le message avec son éternel brin de fantaisie et d'espièglerie, et gratifie son récit de petits détails croustillants comme les onomatopées vraiment sonores (« petetonc » et « abrrrr agla gla ») ou ses tournures rigolotes ponctuées de patois vendéen. Ces fameuses expressions improbables contribuent grandement au déroulement palpitant de l'histoire et sont toujours faciles à saisir, mais le cas échéant, on retrouvera un petit nécessaire linguistique en fin d'ouvrage. Surprenant par ailleurs : le côté oral et théâtral de l'histoire est palpable sur le papier, et sans savoir que Yannick Jaulin est conteur, on ressent sa verve chatoyante dans son écriture-même. Ainsi, La nuit de Léon offre un belle ode à tous nos sens, puisqu'on prend généralement cœur à lire un album pour enfants à voix haute. Mais si vous souhaitez prolonger l'expérience et percevoir les intonations habitées et chaleureuses de l'auteur, ou encore entendre de vos propres oreilles le fameux « petetonc » du bounome, procurez-vous sans hésitation le CD Merlicoquet pour accompagner votre lecture.
Illustration d'Elodie Nouhen
issue de La nuit de Léon, texte de
Yannick Jaulin, éditions Didier Jeunesse, 2009L'environnement de Léon est un tantinet morne et froid à
l'origine. L'illustratrice Elodie Nouhen parvient à installer notre personnage
dans des décors aux teintes plutôt glacées (bleu, blanc, gris) mais
paradoxalement très chaleureux. De ses images se dégage, malgré le propos
(froid, solitude et rejet) un sentiment de sécurité et de douceur, notamment
par la biais de compositions fermées et de changements d'échelle très
efficaces, mettant des visages sensibles et expressifs au premier plan. Souvent
graphique et ponctué de trames fines et délicates, son univers évoque l'aura
embrumée de ces soirées d'hiver et de fête, chargées d'une certaine
effervescence, auxquelles Léon n'est pourtant pas convié. Elle esquisse les
trombines de ses personnages à la pointe du crayon (de papier et de couleur)
par un trait instinctif, leur offrant un regard lunaire. D'autre part, Elodie
Nouhen ourle les vêtements et décors de collages et de belles surfaces emplies
de motifs et textures ciselés (carrelages fleuris, pelage des ours polaires,
flocons de neige aériens). L'illustration laisse une impression d'intensité et
de grâce poétique qui s'entremêlent au contact du texte piquant de Yannick
Jaulin, et donne à l'ensemble de l'album sa tonalité vraiment singulière.
Les prestations de Yannick Jaulin, à l'origine, s'écoutent plus qu'elles ne se lisent ou se regardent. Mais en choisissant de coucher sur le papier l'histoire de ce vieux Léon et de ce petit bounome qui fait « petetonc », de le marier à l'univers velouté et poétique d'Elodie Nouhen, les éditions Didier Jeunesse nous offrent un bel album de Noël, qui de surcroît a le mérite de s'écarter des sentiers battus du genre. L'ensemble se lit à haute voix, se laisse admirer, voire savourer comme un met raffiné. Mais surtout il laisse planer l'idée qu'à Noël (comme les autres jours ?), le partage est possible, et pourquoi pas, désintéressé. A méditer ?