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5/10Juliette Society - Sasha Grey

/ Critique - écrit par C.Saffy, le 15/11/2013
Notre verdict : 5/10 - Le portrait de Sasha Grey. (Fiche technique)

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Des actrices porno qui racontent leur parcours dans un récit autobiographique, c’est une antienne récurrente dans l’édition. Des actrices porno qui sortent un roman, cela arrive moins souvent ; en France, on peut citer Coralie Trinh Thi qui elle a carrément inversé le schéma en publiant d’abord un roman, suivi d’une autobiographie-fleuve de plus de 700 pages au Diable Vauvert avant de s’orienter vers la rédaction de guides de conseils pour la collection "Osez" chez La Musardine.

La comparaison avec CTT est loin d'être anodine pour parler de Sasha Grey autant que de son premier roman Juliette Society puisque les deux femmes, à dix ans d’intervalle cumulent de nombreux points communs. Elles ont commencé le porno tout juste majeures, tournant autant de films gonzo/amateur que des grosses productions bien balancées. Elles mélangent sans peine culture livresque classique et musique rock/industrielle, ont toutes les deux un air de poupée manga. Et pour quiconque a vu leurs films, elles ont cette allure parfois guerrière de qui domine la situation en toutes circonstances, une façon de jouer le sexe en performance tout en donnant au spectateur la sensation qu’elles jouissent et aiment vraiment le sexe, avec un amour de l’œil de la caméra et l’exhibition qui en découle. Ajoutons donc à cela qu’elles écrivent toutes les deux et s’illustrent dans le roman, en l’occurrence aujourd’hui Juliette Society pour Sasha Grey.

Qu’est-ce que la Juliette Society ? D’après Catherine, la narratrice du roman, c’est une société secrète érotique, sur lequel on ne peut trouver aucune véritable information même en cherchant bien. Car ce club très fermé fréquenté uniquement par des très riches est une micro-république de Salo où de jeunes femmes prêtes à tout se donnent aux fantasmes les plus pervers de ces messieurs, y compris ceux qui mettent en jeu des fonctions vitales. Un postulat de départ qui a donné envie à Grazia UK de parler d’un Fight Club au féminin. Avec une aussi haute référence pop et anar, on ne peut qu’ouvrir le livre intrigué et même excité. Du sexe, du mystère, de la violence, le tout écrit par l’une des actrices porno qui cumule le paradoxe d’être parmi les plus hardcore et mainstream de ces dernières années ? On plonge.

Parler d’ahurissant décalage entre ce qui nous est promis et la réalité de ce qu’on lit est un doux euphémisme. Car de la Juliette Society, il n’en sera que très peu question dans le roman de Sasha Grey. L’auteur introduit pourtant son livre par sa description en insistant bien sur l’héritage du Marquis de Sade qui lui donne son nom : cela donne lieu à un petit cours de pop philosophie truffé de raccourcis qui prêtent à sourire pour qui connait un peu l’histoire des célèbres sœurs sadiennes. Où l’on croit donc pénétrer dans une découverte tortueuse et fantasmatique de cette société secrète. A la place, on mange les réflexions et le parcours de Catherine, jeune étudiante en cinéma au phrasé agressif et qui, conformément à ce que l’on peut attendre d’un tel personnage fait montre d’une bonne dose de pédanterie, mais une pédanterie d’élève de 1ere ou 2eme année ; avec force citations de Belle de Jour de Buñuel,  A bout de souffle de Godard ou Citizen Kane de Welles - on repassera donc pour l'effet-découverte avec ces classiques hautement connus. Catherine, si elle est fidèle à Jack, son petit ami, est pourtant dévorée de fantasmes tous plus obscènes les uns que les autres. Elle en pince pour son prof de cinéma, qu’elle compare physiquement à l’Anthony Perkins de Psychose. Un type assez psycho-rigide mais qui déclenche en elle des fantasmes de soumission où elle se voit en chienne attachée nue à son bureau qui attend de lécher sa main avec dévotion. Elle n’est pas non plus indifférente à Anna, sa camarade de classe plus délurée et explosive qu’elle imagine dans des plans  à trois avec elle et son copain. Anna qui l’emmène parfois à repousser ses limites en l’emmenant à la Fuck Factory, sorte de boite à partouze éphémère où elle observe des centaines de couples qui baisent au son d’une techno qui pulse « dans une ambiance de clubbing aussi cliché que dans les films » assène-elle au lecteur pour montrer qu’elle n’est pas dupe de l’effet-écran.

Dans Juliette Society, Sasha Grey écrit le sexe de la manière la plus anti-érotique qui soit, en ce sens qu’elle ne peut émouvoir le lecteur en provoquant une excitation sensuelle, car trop schématique, pensé à la manière d’un story-board. Pour autant, il n’y a pas non plus une écriture pornographique pure et dure, plutôt une collection de fantasmes racontés par le menu mais sans structure – car Catherine si elle jouit énormément par le regard reste très fidèle à son petit copain. Un petit copain qui travaille trop (il est au bureau du service de campagne d'un sénateur), ne sait pas répondre à son immense appétit sexuel, le lui reproche même, au point qu’elle finit par se masturber frénétiquement au fond du lit en imaginant tout ce qu’il pourrait lui faire, s’il était plus attentif.

Ce roman est surtout l’occasion pour Sasha Grey de livrer tout un tas de réflexions sur l’intérêt du sperme, le romantisme de la sodomie (bien mieux racontée et décrite chez Toni Bentley dans Ma reddition), la sémantique génitale (vaut-il mieux dire pénis ou queue ?) et oublier de raconter une histoire. Car la fameuse Juliette Society promise n’arrive que dans les 30 dernières pages d’un roman qui en compte quand même 350 et se résume à une vision onirique inspirée des Cultes à Mystères – comme chez A.J. Molloy avec Une proposition. Et puis plus rien. Catherine reste avec son petit ami, la Juliette Society est une légende urbaine comparable à la traite des blanches et… non, c’est vraiment fini.

On en vient donc à imaginer tout ce que ce livre aurait pu être si Sasha Grey avait pris le temps de le réfléchir et le travailler en profondeur, au lieu de jeter sur le papier une rêverie brute de décoffrage. Séduisante malgré tout, car portant en elle les germes d’une littérature cash, sexuelle et baignée de contre-culture comme a pu la livrer en son temps… Coralie Thrinh Thi avec Betty Monde ou Virginie Despentes notamment avec Les chiennes savantes. Reste à savoir si Juliette Society n’est pour l’actrice qu’un one-shot parmi de nombreuses autres activités artistiques telle que chanteuse pour Throbbing Gristle, Djette en club ou actrice maintenant pour le cinéma traditionnel…

Le Livre de Poche n'ayant pas jugé nécessaire de préciser qui est le traducteur ou la traductrice du roman, l'information ne peut être fournie.