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9/10Journal intime d'une femme soumise - Sophie Morgan

/ Critique - écrit par C.Saffy, le 18/10/2013
Notre verdict : 9/10 - La nuit, tous les Maîtres ne sont pas Grey. (Fiche technique)

Tags : sophie femme morgan soumise journal intime livre

L'une des meilleures surprises de la littérature BDSM de ces deniers mois.

Dans la catégorie livre-érotique-à-côté-duquel-on-ne-veut-pas-s’arrêter, celui-ci cumule pas mal de signes extérieurs. Une couverture d’une atroce niaiserie. La mention du « Elle a expérimenté 50 nuances de Grey ». Une phrase d’accroche en quatrième de couv’ où l’auteur sous-entend que seul le plaisir du Maitre compte et la rend heureuse, et non le sien… Et surtout ce titre traduit de manière inexacte puisque le livre de Sophie Morgan s’intitule en fait Diary of Submissive soit "Journal d’une soumise". Beaucoup de handicaps à contourner absolument, car ils pourraient faire passer à côté de l’un des meilleurs textes BDSM publié ces derniers mois.

Le livre de Sophie Morgan n’est pas un journal au sens strict du terme, plutôt un mémoire et un récit du cheminement qui l’a amenée à prendre conscience de son goût pour la soumission. Ou comment cette jeune anglaise trentenaire et journaliste pour la presse écrite, est arrivée - à l’âge adulte - à la recherche d’un dominant qui saurait enfin lui donner ce qu’elle espère si fort. On pourrait alors penser qu’il s’agit d’un énième récit de découverte de la soumission avec un Maitre en forme d’entité suprême devant lequel la soumise se pâme et dit Amen à tout. Mais ce qui fait l’originalité et la force du récit de Sophie Morgan, c’est qu’elle contrecarre tous les clichés du genre. Elle prend bien soin de rappeler d’abord qu’elle ressemble en rien à la délicieuse Lee Holloway du film La secrétaire et qu’au risque de décevoir tous les amateurs de psychologie de comptoir, elle a eu une enfance très heureuse, avec des parents aimants, une sœur adorable et sans incident notable. A l’exception donc d’une excitation inconnue et impossible à verbaliser en lisant Robin des Bois. Car tout en se moquant de cette idiote de Lady Marianne qui se faisait toujours capturer et enchaîner dans un donjon humide, Sophie ne peut s’empêcher de l’envier, sans savoir pourquoi.

Chaque récit BDSM contient son image qui sert comme point de départ pour expliquer l’obsession qui anime la (le) soumis(e) – voir Le Manoir d’Emma Cavalier, où Pauline revoit Indiana Jones agitant son fouet quand elle rencontre Julien. Chez Sophie, c’est cette Lady Marianne le déclencheur de sa fantasmatique. Comme bon nombre de filles dont l’enfance solitaire a été bercée par la lecture et la découverte de la masturbation devant de la pornographie qu’on va acheter en cachette, et surtout pas chez son marchand de journaux habituel, Sophie cherche à revivre dans sa sexualité ce qui la faisait décoller déjà toute jeune : une imagination en liberté, et une intensité qui la pousse sans cesse dans ses limites. Elle raconte la première fessée avec un garçon de la fac, avec le recul trop gentille mais qui la conforte dans ce qu’elle désire chez un homme, la recherche du parfait camarade de jeux via les tchats et forums… et l’échec face aux faux Maitres imbus de leur personne, irrespectueux ou incapable d’écrire sans une faute d’orthographe ! Et enfin la relation avec Thomas, l’ami où la complicité est d’abord intellectuelle puis sexuelle… et enfin tourne BDSM.

Car Sophie, souvent peu liante ou timide peut se révéler extrêmement frondeuse quand il s’agit de sexe. Et elle raconte comment le fait de baiser avec un fuck-buddy permet parfois de parler librement de ses fantasmes, y compris ceux que l’on croit les moins compatibles avec la personne que l’on a en face. Elle découvre soudain lors d’un weekend pourtant démarré comme les autres que Thomas, le pote intello caché derrière ses lunettes sages peut devenir celui qui saura créer soudain tout un tas d’épreuves plus vertigineuses et excitantes les unes que les autres…

Sophie Morgan ne cherche pas à se perdre dans des explications psychologisantes du pourquoi elle aime et recherche la soumission, et accepte pleinement tous les paradoxes de ce désir profond. Assumant son caractère de chieuse et de fille indépendante, elle reconnaît que même lorsqu’elle est excitée en diable par ce qui lui réserve ses amants, elle se partage entre fureur et plaisir quand l’autre la pousse dans ses dernières limites. Qu’il s’agit plus pour elle d’une recherche d’intensité, de jeux, de dépassement de soi et de ses propres limites – en somme se confronter au fantasme, le défier et lui dire « j’irai jusqu’au bout car je l’ai voulu et cela ne me fait pas peur ! » - qui donne une toute autre tournure au mot même de soumission.

La rencontre avec James dans la seconde partie du texte est d’ailleurs une étape déterminante, et raconte combien il est difficile parfois de trouver le dominateur qui sait faire la part des choses entre le jeu érotique, l’amour porté à la personne qui partage sa vie et ce qu’on a droit de lui faire sans se sentir comme le dernier des salauds. Cette dimension délicate d’apprentissage où le soumis doit rassurer son dominant quand cela devrait être l’inverse…

Journal intime d’une femme soumise est piquant, moderne, se lit comme un roman. Sophie Morgan sait entretenir une forme de suspense fébrile pour raconter son parcours et le déroulement de séances (où les cuillères en bois se transforment en battoir !) et casse enfin une image du BDSM folklorique et dépassée, rappelant qu’il n’est nul besoin d’équiper sa chambre comme un donjon haut de gamme pour en être. Et que soumise ne veut pas non plus dire carpette qui se met à plat ventre devant son Maitre. Un livre rafraîchissant, qui ne manque pas d’humour dans une littérature qui souvent, se prend trop au sérieux et apporte un regard neuf, rafraîchissant et très excitant sur le BDSM. Tout en montrant que ces pratiques ne sont pas réservées aux milliardaires ou aux oies blanches. Et que même cette jeune personne au caractère bien trempé que vous côtoyez au quotidien ou ce garçon qui semble si sage  derrière son look de geek peut en être…

Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Hélène Tordo.