La grande dame et le petit garçon
Livres / Critique - écrit par hiddenplace, le 21/12/2010 (La grande dame et le petit garçon est un récit aux confins du merveilleux, qui tisse avec sensibilité une jolie fable du quotidien et célèbre le partage et la curiosité de l'Autre.
Les yeux, l'esprit et l'imagination des plus jeunes percent souvent bien au-delà des apparences, ils brodent parfois un univers qui alimente leurs fantasmes et leurs peurs et lui donnent un goût de réalité qui leur apparaît aussi tangible que la nôtre. A bien y réfléchir d'ailleurs, les adultes ont par moment cette manie eux aussi. C'est le cas d'un petit garçon, persuadé que sa voisine, une très vieille dame, attrape les petits enfants du haut de son balcon et les enferme dans sa cage à oiseaux pour les dévorer. Un mélange de fascination et de crainte attise alors la curiosité du minot, le poussant à prospecter et même à espérer la voir au détour d'une rue ou aux abords de chez lui. Mais la grande dame est-elle vraiment une ogresse ?
Avec cette saveur de fantastique digne d'un conte traditionnel racontée par Geert de Kockere et ce graphisme fin et mystérieux signé Kaatje Vermeire, La grande dame et le petit garçon semble toucher plusieurs genres. D'abord un soupçon d'étrange et de merveilleux grâce au récit entièrement développé autour du point de vue du jeune protagoniste, par lequel le lecteur scrute, soupçonne et découvre au fil des pages et des situations l'identité et la personnalité de cette insaisissable aïeule. Le petit garçon imagine d'ailleurs en premier lieu, avec force détails, les méfaits les plus effroyables. Le mythe de l'ogresse ou de la sorcière malfaisante cachée au fond de sa chaumière se retrouve ici transposée dans une ville moderne, avec des habitudes plus ancrées dans notre époque. En parallèle de ce ton onirique, se dessine une autre facette, celle d'un quotidien, d'une réalité tristement répandue : la solitude et l'isolement de certaines personnes âgées, partageant pourtant un mur mitoyen du nôtre. L'auteur choisit donc une fable nuancée et oscillant entre deux univers pour ensevelir les résidus de manichéisme qui hantent généralement ce genre d'histoire, et jette avec sensibilité et un joli suspense un pont entre deux générations, une ode au partage et au dépassement des préjugés.
Illustration de Kaatje Vermeire
issue de La grande dame et le petit garçon, texte de Geert de Kockere, Le Rouergue 2010
Son très grand format et ses teintes boisées et naturelles font de La grande dame et le petit garçon un objet vraiment raffiné, agréable et intrigant à découvrir. Spécialisée dans la gravure, Kaatje Vermeire use ici de plusieurs techniques d'estampes comme la gravure pointe sèche, la xylo, la lino ou la lithogravure pour délivrer cette atmosphère d'abord sombre et mystérieuse, à la limite de l'oppression, qui se transforme doucement en une sorte de frise lumineuse, assez ornementale, à mesure que l'on découvre qui est vraiment la « grande dame ». Au fil des pages, les planches qui s'amorçaient dans des teintes plutôt monochromes et tramées (notamment les nervures du bois apparentes) laissent place aux couleurs et au foisonnement de motifs fleuris, tels que les papiers peints « de grand-mère » ou la dentelle. Le visage d'abord fermé et incertain de cette voisine menaçante arbore finalement des traits fins et précis. Sa maison vue de l'extérieur prenant de prime abord des allures d'antre maléfique devient quand on la dévoile à travers les yeux du petit garçon une caverne d'Ali Baba ou un palais merveilleux. Le trait lui-même qui trace les silhouettes des deux personnages, répondant à l'ambiguité du texte de Geert de Kockere, oscille constamment entre le réaliste et le fantastique. L'aspect figé des contours de chacun confère une élégante impression d'étrangeté propre au théâtre d'ombres chinoises, amplifiée par le contraste constant entre le très grand et le très petit (les deux protagonistes, les figures humaines face à la grandeur des majestueuses façades urbaines).
La grande dame et le petit garçon est un récit aux confins du merveilleux qui tisse avec sensibilité une jolie fable du quotidien et célèbre la partage et la curiosité de l'Autre. En dehors de cette thématique symbolique forte, les illustrations soignées et raffinées de Kaatje Vermeire sauront sans aucun doute séduire un public plus âgé que celui auquel se destine notre histoire. Les amoureux de l'estampe notamment trouveront de quoi régaler leur appétit.