8/10La Forteresse noire

/ Critique - écrit par Lestat, le 12/09/2004
Notre verdict : 8/10 - Un grand petit plaisir (Fiche technique)

1941. Lorsque le Capitaine Woermann, en faction dans le col de Dinu, en Roumanie, demande une ré-affectation immédiate suite à quelques évènements tragiques, quelques sourcils se froncent dans les hauts lieux de la Wehrmacht. Engagé volontaire aux états de services brillants, Woermann n'est pourtant pas homme à renoncer, surtout pour une mission aussi simple que de tenir un petit donjon, position hautement stratégique mais isolée de tout combat. Envoyé sur place, le Lieutenant Kaempfer et sa troupe d'Einsatzkommandos -une division d'élite SS- entend bien mâter ce qu'il pense être la rébellion d'une poignée de patriotes roumains, dernier coup d'éclat avant de prendre le commandement du futur camp de concentration de Poliesti, qui se projette dans la région. Autant dire, l'aboutissement de sa carrière de bon Aryen. Pourtant, il lui faudra bien se rendre à l'évidence : dans cette petite forteresse bardée de croix étranges, quelque chose extermine peu à peu le petit détachement de Woermann. Un vampire ? Une chose est désormais sûre : ce n'est pas humain...

Non, la Forteresse Noire ne paye pas de mine, engoncée dans son édition de poche de 350 pages. Un crachat dans l'océan de la littérature vampirique, habité par les Léviathans que sont Bram Stoker, Anne Rice ou Richard Matheson. Pourtant, ce petit livre est sans doute parmi les approches du mythe les plus originales et les plus passionnantes qu'il m'ait été donné de lire. Francis Paul Wilson, l'auteur de ce petit chef d'oeuvre a su avec cet ouvrage, dont la taille ferait rire tout les amateurs de littérature gothique, renouveler tout un mythe, partant dans des théories toutes personnelles, tellement plus intelligentes qu'une ribambelle de confrères exploitant mollement la morsure dans le cou. Portée par un style à la lisibilité excellente, La Forteresse Noire entraîne son lecteur dans un univers de noirceur et de mythologie trouble. Prisonniers par des ordres les empêchant de quitter l'édifice de pierre à l'aura maléfique, ce ne sont pas des héros, encore moins des victimes qui tombent comme des mouches par la main de la présence non-identifiable. Des Nazis, des Juifs, des Roumains. De simples êtres humains avec peu de forces et beaucoup de faiblesses, à l'idéologie nauséabonde ou aux opinions bien arrêtées. Le rapport manichéen est pourtant bien là : évidemment, impossible de prendre la garnison SS pour de braves gars en vadrouille ou d'ignorer l'intrigue secondaire, soit la création d'un Auschwitz roumain et les conséquences que l'on en devine. Mais Wilson interroge : qui sont les vrais monstres ? Jusqu'où peut aller l'embrigadement ? A quel point peut changer un Homme lorsqu'il poursuit un idéal ? Pas de noir ou de blanc, mais du gris, qui se trame de l'un ou de l'autre au fil des pages. Francis Wilson s'amuse à créer l'ambiguïté dans ses pages et fini par fasciner, autant par sa réflexion sur le mythe que sur l'aspect psychologique de son histoire. L'atmosphère est sombre, glauque, le suspense constant, la violence inattendue et c'est frustré que l'on arrive au dénouement extraordinaire d'un livre trop court pour ses richesses. Si certains ont les yeux plus gros que le ventre, Wilson laisse quand à lui une impression à mi-chemin entre l'inachevé et le petit plaisir coupable.

Si les protagonistes ne demandent qu'à quitter la Forteresse Noire, pour le lecteur, c'est bien tout le contraire. Quant au livre, il se dévore et son adaptation par ce grand réalisateur qu'est Michael Mann en 1983 n'est que justice rendue à son potentiel...