7/10Le Double

/ Critique - écrit par valmont, le 14/03/2008
Notre verdict : 7/10 - Double Je (Fiche technique)

Un roman grotesque qui plonge le lecteur et le personnage dans un malaise éclatant. Un magnifique traitement du thème du double.

Un peu de classiques ne peut jamais nous faire de mal. Surtout lorsque ces classiques parviennent à traverser les âges et continuent à nous offrir leur richesse littéraire. Le Double est un de ceux-là. Sans doute un des romans les plus célèbres de Dostoïevski avec Crime et Châtiment, il illustre parfaitement le style grotesque dont l'auteur, ainsi que d'autres romanciers tels que Kafka, Gogol, ou Beckett, était l'humble représentant. Généralement considéré comme l'un des plus grands romanciers russes, Dostoïevski a influencé bien des auteurs et philosophes, et a profondément marqué la littérature européenne de sa vision de l'Homme et du monde. Avec Le Double, publié en 1846, il a bouleversé bien des esprits à cause des obscurités du texte, son coloris fantastique, ses emprunts à Gogol... Le roman est pourtant un traitement emphatique de la question du double et examine de manière très subtile la psychologie du héros.

Mr Goliadkine, le personnage principal du roman, est un petit bureaucrate de St Pétersbourg qui mène une vie assez monotone. Il agit selon des pulsions incontrôlées et présente une identité sociale problématique. Refusant de se croire malade, il va tout de même tenter de s'insérer dans le milieu mondain qu'il craint et admire à la fois, mais se fera vite rejeter. Cette mise à l'écart va le troubler fortement, et c'est alors qu'il va rencontrer son double, réplique parfaite de sa personne. C'est donc le début du cauchemar pour Mr Goliadkine puisque son double ne va cesser de le persécuter et d'usurper son identité.

Le roman est parfaitement traité puisqu'à partir de la première apparition du double, on ne peut jamais savoir s'il s'agit de la réalité ou de l'esprit délirant de Mr Goliadkine. Tout le texte joue là-dessus et c'est en partie pour cela qu'il est intéressant. La paranoïa, le sentiment de persécution, la folie croissante, tout cela est rendu majestueusement par l'auteur qui parvient à cerner la psychologie du personnage avec beaucoup de finesse. Nous sommes à la limite du fantastique, du burlesque, et toujours dans le grotesque. Cette façon de déformer la réalité pour l'apparenter à un cadre labyrinthique, de générer le malaise et le vertige, et de provoquer cette instabilité du sens et du texte, est digne d'un grand talent. Le texte utilise toutes les ressources du grotesque, que ce soit dans la caricature du corps ou du langage, l'opacité des images, ou la violence du sens. Le personnage représente un point de vue particulier sur le monde, celui de l'aliénation de l'individu. Même si l'identification au personnage rencontre ses limites par l'utilisation du style grotesque, on ne peut tout de même s'empêcher de se mettre dans la peau de cet homme harcelé et dépassé par une réalité (ou non) qui le torture.

Le roman, bien qu'il soit pris en otage par ce style un peu étouffant, reste tout de même assez facile à lire. La circularité de l'action et les répétitions peuvent gâcher la lecture de quelques impatients, mais c'est aussi grâce à cela que ce subtil sentiment de vertige est rendu. C'est quitte ou double, soit on se laisse entraîner par cette descente aux enfers et cette écriture mouvante, soit on refuse de se laisser envahir par ce malaise ancré dans le texte et qui touche l'histoire de cet homme anéanti par l'Autre. Un beau texte de référence.