8.5/10Différentes saisons

/ Critique - écrit par Lestat, le 18/09/2004
Notre verdict : 8.5/10 - Le meilleur et le pire de King. Inoubliable (Fiche technique)

Tags : saisons king stephen livre hiver saison histoire

Nous sommes au milieu des années 80. Stephen King, jeune écrivain et trois romans derrière lui, commence déjà à se faire un nom et à prendre une habitude qu'il ne lâchera plus : celle de vider ses fonds de tiroirs. L'écrivain aura auparavant sorti Carrie, roman au style épistolaire, Salem, efficace histoire de vampires et bien sûr, Shining, l'une de ses histoires les plus célèbres. Pour son quatrième ouvrage, King va récupérer des textes écrits dans la foulée de ses précédentes productions et partir vers des horizons où à l'époque on ne l'attendait pas. Ce sera ce recueil de quatre novellas, quatre longues nouvelles -ou courts romans, pénétrant des univers beaucoup plus réalistes et humains. Avant de parler plus en détails de Différentes Saisons, il faut mettre en avant son aspect noir et très pessimiste, un regard au vitriol où King traque les travers et les penchants de l'Amérique qui n'en sortira pas grandie. Coulisses du système carcéral, fascination enfantine, souvenirs désabusés... un recueil en forme de moulinette où King prouve sa faculté à changer de registre et une fois de plus son immense talent.

On commence dans la mélancolie, avec Rita Hayworth ou la Rédemption de Shawshank. Les portes du pénitencier, à jamais vont se refermer pour Andy Dufresne, banquier, accusé d'avoir liquidé sa femme et son amant. A tort ou à raison ? On ne le saura jamais vraiment, même si des éléments montrent clairement qu'il est innocent. Nous sommes ici dans un drame carcéral, tout comme le fut, bien plus tard, la Ligne Verte. Mais à la différence de ce dernier, qui s'axait sur les gardiens, King s'intéresse ici aux geôliers, à ces tueurs, voleurs, violeurs qui croupissent entre quatre murs. Des hommes qui reconstituent le monde, à leur échelle, par petites touches, faisant commerce de choses et d'autres, s'évadant comme ils le peuvent. Cette première nouvelle est une plongée dans un univers désespéré et brutal, où King égratigne le système carcéral. Economie souterraine, pots-de-vin, incompétence d'une société a réhabiliter ceux qu'elle a voulu punir... c'est un ton mi-figue mi-raisin qui parcourt ces pages, parfois drôles, souvent tristes. Ecrite à la première personne, racontée de la bouche d'une longue peine, cette nouvelle prend un souffle d'authenticité incroyable, une dimension de Mémoires d'un vieux loup de mer. Passionnant, émouvant, Rita Hayworth ou la Rédemption de Shawshank ne se lâche pas.

King nous a baladés sans même qu'on s'en aperçoive, dans une histoire dont le dénouement préfigure ce qu'est la lumière au bout d'un long tunnel : pas vraiment un happy-end, non, mais plutôt une libération, un nouvel espoir. Douce accalmie avant qu'Un Elève Doué ne s'acharne sur le lecteur...

Un Elève doué est sans doute la nouvelle la plus malsaine et la plus dérangeante du recueil. Todd est un jeune garçon. Il est blond, aimé de ses parents, bon en classe. Plus tard, il ira à l'université. Pourtant tout va basculer le jour où il rencontre ou plutôt démasque Kurt Dussander, criminel de guerre nazi. Mais Todd ne va pas le dénoncer : ce qu'il veut, c'est que le vieil officier SS lui raconte ce qu'il se passait dans les camps. Lui raconte tout...
Difficile de finir cette histoire tant elle est perverse. Toujours pas un poil de surnaturel et l'horreur est bien là, d'une manière bien plus insoutenable. Ici le monstre est cet enfant qui tomba un jour sur des magazines qu'il n'aurait pas dû lire. Le genre de revues où l'on peut acheter des insignes ou des poignards de la Wehrmacht. Fascination d'une époque dont on oublia de tirer des leçons. Un Elève Doué prouve par la méthode "gifle" de ne pas canaliser certaines lectures ou passions infantiles peut amener à l'irréparable. Réellement éprouvant, j'ai été tenté de dire que c'est sans doute ce que King aura écrit de plus dégueulasse et nauséabond. Mais au nom de l'Histoire, avec un grand H, en aurais-je le droit. Le lecteur est pris au piège. Impossible de juger Un Elève Doué. Stylistiquement ? C'est impeccable, parfait, du très grand King. Mais quelle importance dans le cas présent...

Un curieux goût dans la bouche nous fait entamer Le Corps, non sans une certaine appréhension. Quatre gamins d'un trou paumé partent à la recherche d'un cadavre. Pas ce qu'il y a de plus désopilant, mais bien plus léger que sa précédente. On retrouve ici la mélancolie qui habitait Rita Hayworth, c'est aspect grisâtre, flottant et triste. Le récit fait passer du rire aux larmes tant il sonne juste. Et pour cause. Quand on connaît bien la vie de Stephen King, on constate dans le Corps des éléments quasi-autobiographiques et dès lors, le récit est sublimé. Une très belle nouvelle sur l'enfance, l'amitié, les désillusions. Une fois encore, plus perle noire que rose bonbon, toujours ce pessimisme qui surnage mais indéniablement la meilleure des Différentes Saisons.

Enfin, la dernière nouvelle, La Méthode Respiratoire, ré-injecte un bon coup de fantastique quasi-lovecraftien. Pour le meilleur et pour le pire. L'impact est considérablement amoindri et disons-le clairement, bien que réussie, cette nouvelle fait tache. Intéressante mais oubliable.

Différentes Saisons fait office de recueil à part dans l'oeuvre de King. Par le format de ses histoires, sortes d'hybrides en 25 000 et 35 000 mots, frontière maudite de tout écrivain, à mi chemin entre la nouvelle et le roman. Mais aussi par le ton de ses histoires touchant une fibre bien plus réelle et donc bien plus dangereuse. Souvent dur, violent, parfois insoutenable, Différentes Saisons fait partie de ces livres en forme de coups de poing, vers lesquels nous revenons inlassablement. Le contenu sera le même, mais pour s'en rappeler, tout simplement.

Différentes Saisons a également la particularité d'avoir été adapté presque intégralement au cinéma. Rita Hayworth par Frank Darabont, dans son magnifique Les Evadés. Un Elève Doué, par Bryan Singer. Le Corps, soit le Stand By Me, de Rob Reiner, qui retrouvait King après son adaptation de Misery.