8/10Chagrin d'école

/ Critique - écrit par Kei, le 08/01/2008
Notre verdict : 8/10 - Un chagrin pour l'auteur, un bonheur pour les lecteurs (Fiche technique)

Tags : ecole pennac daniel livre chagrin livres roman

Humain, touchant, sensible et réfléchi. Bien mieux qu'un essai, Chagrin d'école est un cheminement intellectuel merveilleusement bien écrit.

Le nom est connu. Très connu. On le croise un peu partout, sur les lèvres des voisins, dans la bouche d'un chroniqueur radio, au détour d'un site. On l'a entendu proclamé lors de la rentrée littéraire et on le voit en haut d'un livre trônant sur les étagères de tous les libraires et sur les tables de nuit d'une bonne partie de français. Et pourtant c'est presque par hasard que je me suis dirigé vers le dernier Daniel Pennac (quelle classe de dire "le dernier", ça respire la culture littéraire et sue un certain mépris pour ceux qui ne connaissent pas les autres faits d'armes de l'auteur). Un livre qui n'est certainement pas un roman. Sans doute une autobiographie. Ou un essai. Ou une introspection couchée sur le papier. En tout cas une retranscription d'une longue réflexion ayant pour origine les débuts pour le moins chaotiques de la vie de son auteur.

Daniel Pennac, auteur faisant le devant de la scène littéraire, était un cancre.

Un cancre de la pire espèce.

A 60 ans passés, il se demande ce qui a fait que lui, profondément dysorthographique, handicapé des mathématiques, sourd aux sirènes des sciences et fort peu enclin à se pencher sur un manuel scolaire, ait pu devenir l'homme qu'il est aujourd'hui. Une success story ? Un self-made-man ? Que nenni. Il avait tout pour réussir dès l'enfance, il le constate plus qu'il ne le reconnaît (ce n'est pas une faute, il n'y a rien à reconnaître). Dernier enfant d'une famille aisée, des frères brillants, des parents attentionnés et éduqués, il avait tout en main pour aller d'un bout à l'autre de sa scolarité sans heurt. Et pourtant... Cela pourrait très bien faire l'objet d'une autobiographie, mais Pennac est pudique. Ses souvenirs sont distillés au compte goutte car au final, quel intérêt ? Ce point de départ n'est que là où va démarrer une réflexion autrement moins superficielle. Une réflexion qui fera intervenir l'école bien sûr, mais pas en tant que protagoniste principal. Le vrai héros du roman n'est pas non plus le cancre réfractaire, le professeur habité par sa matière ou le bon élève qui surprend son maître. Le vrai héros, c'est tout simplement le cheminement de la pensée de l'auteur.

Beaucoup de sujets sont passés en revue dans ce livre. Il est dit tout et son contraire. Pour le meilleur, pas pour le pire. Loin de l'essai philosophique qui veut défendre une thèse ou en assassiner une autre, Chagrin d'école expose une idée, puis la contredit par un argument pertinent, puis enchaîne sur une idée proche mais sensiblement différente. On sent Pennac attaché à une certaine idée de la vérité. Celle qui n'est pas unique, mais partielle. Celle qui se construit grâce à une myriade d'idées différentes. Et lorsqu'emporté par sa plume ou une idée particulièrement séduisante l'auteur se laisse aller, son alter-ego de 15 ans, le cancre qui ne fait pas que sommeiller en lui, se rappelle à son bon souvenir et vient pointer du doigt les travers du discours.

Le lecteur, tantôt caressé dans le sens du poil, tantôt bousculé, apprécie la justesse du raisonnement. Un raisonnement qui n'écarte pas une hypothèse pour sembler plus juste. Un raisonnement qui n'omet pas volontairement une idée qui ne flatterait pas son auteur. Ce n'est pas une solution ou une réponse qui est exposée, mais tout simplement la réflexion d'une personne ayant pris le temps de réfléchir à un sujet qui nous touche tous : l'école.

Il y a un fossé de 3 génération entre Daniel Pennac et ma personne. Il a été un cancre, je suis bon élève. Il a été en pension, je n'ai jamais été qu'externe. Des expériences bien différentes, mais le texte qui lie ces deux expériences est un texte sensible qui touchera tout les lecteurs. On se retrouve ici et là. On retrouve un ami ici et là. On retrouve un professeur ici et là. On retrouve un frère, une soeur ici et là. Les récits, les anecdotes trouvent en nous des échos. Et par là même ce livre nous touche, en nous renvoyant à nous même et à notre perception d'un univers partagé par tous : non pas celui de l'école, qui est un grand sac qui tend à perdre de son sens en tant qu'entité malmenée par tous, mais des hommes et des femmes (et des garçons et des filles) qui la font, la subissent, y participent. Une vision très humaine.

 

Note : Le Journal d'un remplaçant, bande dessinée de Martin Vidberg, trouve un étonnant écho dans ce livre. Un très bon complément à cette lecture, bien plus terre à terre, mais qui permettra de ne pas oublier que les très jolis mots de Pennac adoucissent beaucoup la réalité de l'enseignement, même si ceux-ci ne sont pas flatteurs.