9/10Le cha-cha-cha des thons

/ Critique - écrit par hiddenplace, le 25/11/2010
Notre verdict : 9/10 - Donnez votre langue aux chats (Fiche technique)

Excellente entrée dans le patrimoine de la chanson française datant du demi-siècle dernier, Le cha-cha-cha des thons est une nouvelle réussite en terme de livre musical.

Boby Lapointe, Bourvil, les Frères Jacques et quelques autres sont dans un bateau. Un coup de vent frais fait soudain chavirer la barque, emportant ces grands piliers de la chanson française... mais qui reste à bord ? Un indice : entre deux miaous facétieux, ils tapent du pied, taquinent les cordes d'un violon et d'une contrebasse, ou entonnent une kyrielle d'airs connus d'une voix gouailleuse. Peut-être ne les connaissez-vous pas, il est donc temps d'y remédier : les Matous ouvrent aujourd'hui le bal dans une atmosphère qui exclut le petit doigt en l'air. Sous la direction d'Yves Prual, qui fait d'ailleurs partie de la fête, les sept félidés se lissent les moustaches et nous invitent à découvrir en les revisitant quelques classiques des chanteurs sus-cités, ainsi qu'une poignée de refrains populaires issus soit du répertoire d'autres chanteurs du passé (Léo Daniderff ou René-Louis Lafforgue entre autres), soit du patrimoine traditionnel. L'occasion d'évoquer un temps que les moins de vingt ans (voire de trente ou quarante d'ailleurs) connaissent rarement, et le tout via une orchestration et une imagerie joyeusement repensées tout en gardant l'esprit, la sonorité et les couleurs joliment désuets de cet univers.

Illustration de Laetitia Le Saux
Illustration de Laetitia Le Saux
issue de Le cha-cha-cha des thons, musique des
Matous ; Editions Didier Jeunesse, 2010
Ce livre-disque porte bien son titre, et bien plus encore, puisqu'il introduit aux jeunes oreilles un panel varié de musiques et danses joyeuses : cha-cha-cha, polka, jazz mais aussi de belles harmonies polyphoniques et autres chants en canon. Le c(h)œur est à la fête, ou en tout cas à la dérision totale, c'est ce que l'on retient principalement à l'écoute de ces fameux Matous, cet orchestre guilleret composé de guitare, d'accordéon, de violon, de percussion et de multiples autres instruments. Ainsi, les plus jeunes mais également leurs aînés nostalgiques, ou tout autre curieux désireux de connaître les pépites de cette période, se laisseront charmer par les teintes légères et frétillantes de l'album : de la mignonne et très douce version du légendaire «Aragon et Castille » de Boby Lapointe, à la malicieuse « A bicyclette » (pas celle de Montant, celle de René Laquier et Etienne Lorin). L'enchaînement des chansons est agencé de telle façon qu'il est à la fois très agréable de l'écouter d'une traite pour redonner du peps à une après-midi pluvieuse, et à la fois intéressant de piocher de manière plus pointue dans le répertoire lorsque l'on cherche un ton ou esprit particulier. Les atmosphères (ironiquement) romantiques comme « Andréa c'est toi » sur fond de délicate mandoline italienne côtoient les rengaines entraînantes et plus prosaïques telle que «La douche municipale ». Les enfants seront ravis d'entonner et de retenir ces textes souvent bâtis sur les calembours ou les jeux de mots les plus triviaux. Certains titres jouent même délibérément sur les onomatopées ou les jeux de bouche - grande marotte de nos petits vocalistes, comme « Mes tics » ou l'éponyme « Cha-cha-cha des thons ». Le vocabulaire parfois capillotracté ou les références versant dans un second degré un peu plus aiguisé destinent toutefois ces chansons à un public capable de les percevoir, plutôt à partir de 6 ou 7 ans.

Illustration de Laetitia Le Saux
Illustration de Laetitia Le Saux
issue de Le cha-cha-cha des thons, musique des
Matous ; Editions Didier Jeunesse, 2010
En phase avec cet univers daté, l'illustratrice Laetitia Le Saux nous offre de grandes doubles pages aux consonances surréalistes, marquée par l'imagerie des années 40 à 60. Par des couleurs chaudes un peu « passées » et un mélange heureux de personnages peints assez minimalistes, de  collages de motifs et de gravures anciennes, le ton festif accompagne parfaitement la légèreté de la musique ; l'ensemble fleure bon les petits bistrots d'antan, l'avènement des congés payés, le plaisir de chanter, de danser et de passer du temps ensemble tout simplement. Les images mêlant tout naturellement des gens ordinaires et des animaux truculents (les Matous font leur apparition en fin d'album), valdinguant dans une chorégraphie espiègle, plairont autant aux plus jeunes qu'aux amateurs de visuel plutôt « vintage ».

Excellente entrée dans le patrimoine de la chanson française datant du demi-siècle dernier, Le cha-cha-cha des thons est une nouvelle réussite en terme de livre musical. La malice et la gouaille des Matous, agrémentées du graphisme allègrement surréaliste de Laetitia Le Saux raviront à mon avis plusieurs générations. La bonne humeur, un humour simple et parfois absurde proche de l'univers enfantin, et une certaine douceur dominent l'album, tant et si bien que certains airs menacent de vous rester en tête longtemps après avoir éteint votre machine à musique. Mais c'est quand même plus agréable et inspirateur  que « René la taupe », n'est-ce pas ?