La Bande dessinée, son histoire et ses maîtres
Livres / Critique - écrit par riffhifi, le 23/08/2009 (Pour accompagner l'ouverture du musée de la bande dessinée à Angoulême, Thierry Groensteen publie un ouvrage encyclopédique et richement documenté sur l'histoire du neuvième art.
Les amateurs de bande dessinée (et de culture en général) le savent : la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême a ouvert les portes du musée de la bande dessinée le 20 juin dernier. Thierry Groensteen, exégète du Neuvième Art, est chargé de fournir les textes accompagnant le catalogue officiel du musée, un ouvrage déjà bien sympathique vendu au prix de 18 euros. Mais en parallèle, le monsieur et le musée proposent également un bouquin king size de 400 pages, qui vaut bien ses 49 euros pour peu que vous ayez une étagère suffisamment solide pour supporter son poids.
Les deux parties principales du livre sont consacrées aux chronologies comparées des bandes dessinées "franco-belge" et "américaine". On entend d'ici les lecteurs de manga offusqués : « et la bande dessinée asiatique alors, elle compte pour des quetsches ? » Honnêtement, l'ajout d'un panorama de cette troisième culture bd aurait rendu l'ouvrage impossible à soulever par un être humain normalement constitué, on acceptera donc l'idée qu'elle fasse l'objet d'une étude séparée. De toute façon, il est généralement admis que le public des mangas constitue une population différente de celui des bandes dessinées occidentales. Forcément, les dénominations "franco-belge" et "américaine" se heurtent régulièrement aux exceptions : où doit-on ranger les œuvres italiennes, espagnoles, anglaises, etc. ? Mais le problème est généralement résolu en considérant que le premier terme désigne la bd européenne (hors Royaume-Uni), et le deuxième la bande dessinée anglophone et sud-américaine. On s'en sort.
Le premier chapitre situe l'origine de la bande dessinée franco-belge en 1833, avec le premier album du Suisse Rodolphe Töpffer (en voilà un, par exemple, qui n'a pas fait l'effort d'être français ou belge !), et en retrace l'histoire jusqu'en 2009, année de l'ouverture du musée de la bande dessinée d'Angoulême et du musée Hergé en Belgique. Entre les deux, Groensteen couvre avec minutie toute les étapes de l'évolution d'un art qui fut longtemps considéré comme réservé à un public enfantin, tout en pointant du doigt les exceptions qui existaient dès le début, ainsi que les réactions offusquées des ligues catholiques contre ce qu'elles considéraient comme un média abêtissant (sans parler de la gouaille argotique et provocatrice des Pieds Nickelés mal vue dans les années 10-20 !). L'apparition des comics en France est également évoquée, ainsi que l'influence des deux guerres sur la presse, l'émergence du format "album" qui prit progressivement le pas sur le format "magazine", le virage des années 70 sous l'influence d'auteurs comme Gotlib et Moebius... On y apprend avec intérêt que l'adaptation de films en bande dessinée ne date pas d'hier, puisque Charlot en fait les frais dès 1921 sous un crayon français, et que Pellos mit en dessins le film de Fernandel Les cinq sous de Lavarède en 1939. La partie consacrée aux comics s'étend logiquement sur la mouvance "super-héroïque", mais n'oublie pas pour autant de parler des productions Disney et de ses hérauts Don Rosa et Carl Barks (rien à voir avec Karl Marx), de Snoopy et de ses compagnons strippeurs, ou encore des artistes alternatifs ayant émergé à partir des années 70 (Robert Crumb, Art Spiegelman, Chris Ware...). Bref, on aurait bien de la peine à résumer en quelques lignes la dizaine de décennies retracée par Groensteen des deux côtés de l'Atlantique. Il se trouvera toujours des esprits chagrins pour regretter que tel ou tel auteur n'ait pas été davantage mis en avant, mais on ne peut pas raisonnablement dire qu'un seul ait été oublié.
La troisième et dernière partie, qui rappelle la démarche du Beaux Arts hors série de cette année, se concentre sur un certain nombre d'auteurs "majeurs" de la bande dessinée, décortiquant leurs styles, leurs méthodes et leurs influences au cours d'une centaine de pages.
Fleurant bon l'exhaustivité dans son domaine d'investigation, richement illustré de planches originales parfois rarissimes (merci la collection d'Angoulême), ce bel objet fait déjà figure d'incontournable dans la collection du bédéphile averti.