Après l'amour - Agnès Vannouvong
Livres / Critique - écrit par C.Saffy, le 08/11/2013 (Tags : amour agnes vannouvong roman livre paola vie
Se reconstruire après une rupture au pays des lesbiennes. Une autofiction jolie, mais un peu frileuse et qui manque de consistance.
Le premier roman d’Agnès Vannouvong est un livre de rupture amoureuse, comme il existe des livres de deuil ou des livres de souvenirs sur le père, ou la mère.
La narratrice, la trentaine passée, se sépare de Paola après dix ans de vie commune. Ensemble elles ont tout découvert, la narratrice pensait que ça serait pour toujours, mais Paola la quitte pour la bouchère du marché où elles ont l’habitude de faire leurs courses. De là, son monde s’effondre. Comment remplir le vide, le manque, réapprendre les gestes du quotidien en solo ? La narratrice, ravagée dès qu’elle est confrontée à Paola, que ça soit pour lui rendre ses affaires, ou régler les détails de la séparation choisit de se perdre dans un flot de rencontres pour apaiser la douleur.
Après l’amour est le récit de ses aventures avec toutes ces femmes, des remparts de chair contre l’absence, pour se nourrir, se remplir. L’écriture d’Agnès Vannouvong est délicate, douce-amère, presque trop éthérée pour raconter une séparation supposée aussi déchirante. Comme si le livre avait été écrit bien longtemps après la rupture, perdant ainsi l’aspect fleur de peau qui en découle et que l’on peine à retrouver ici. De fait, les dialogues sont très écrits, et même trop écrits pour restituer tout ce qui fait que le corps recrache à plein tubes ce qui brise le cœur. Les images sont mélancoliques et jolies, mais sont au service d’une collection de vignettes souvent oubliables – car jetées en vrac sans cohérence parfois : réflexions sur la jalousie, le manque ou la gloutonnerie affective, ou les lesbiennes qui n’attendent que de trouver celles avec qui elles iront en Espagne pour une insémination artificielle. Le texte à force d’hésiter entre impudeur et trop de pudeur n’en dit jamais assez, ne raconte pas vraiment le sexe entre filles, ni la relation de couple avec Paola. Les remplaçantes se succèdent, aucune ne retient la narratrice, à part Héloïse. Mais pourquoi elle plus qu’une autre, pourquoi redonne-elle le goût de vivre et d’aimer à la narratrice ? Rien ne permet de le dire réellement.
En parallèle de ses femmes qui se succèdent, la narratrice raconte l’absence d’un père jamais disponible quand il le faudrait, lointain jusque dans son emplacement géographique – il est en Asie. Cet aspect du livre sans être inintéressant, n’est pas non plus son moteur, voire il en freine la progression. On aimerait aimer Après l’amour, parce qu’il prétend à une certaine universalité malgré son histoire dite singulière, à raconter ce qui pourrait nous toucher tous. Quant à ceux qui attendraient du texte un érotisme lesbien explicite, il est trop évasif pour donner un aperçu véritable de la chose. Inutile de chercher le choc que provoquaient Superstars d’Ann Scott ou Quatrième génération de Wendy Delorme. C’est un univers feutré, pas une spirale de bruit et de fureur.
C’est donc un livre joliment écrit et pourtant vidé de sa substance, un livre raconté non pas quand l’amour a déserté mais qu’il est déjà revenu et a emporté le souvenir de la rupture. Il manque quelque chose à ce roman, qui sans passer à côté de son sujet a du mal à trouver le ton juste pour le traiter. Quitte à écrire un texte aussi ouvertement autobiographique, peut-être eut-il fallu prendre le risque de se mettre plus à nu, sans chercher la fioriture, trouver un biais pour s’attacher le lecteur. Car en l’état, Après l’amour n’est qu’un livre de rupture parmi d’autres, qui échoue même à nous faire toucher du doigt une réalité lesbienne. D'autant plus frustrant quand on sait que l'auteur enseigne les gender studies...