99 francs (14.99€)
Livres / Critique - écrit par iscarioth, le 17/10/2007 (99F, c'est le cri d'une génération qui en a marre d'en avoir marre... Une bonne idée d'achat pour votre neveu en pleine crise de rebellitude contre notre infâme société...
Beigbeder écrit des livres. Ça vous a peut-être échappé, vous qui ne le connaissez que par ses apparitions télévisuelles au grand journal de Canal. Au regard du buzz assourdissant entourant la sortie de 99F, vous ne pouvez désormais que le savoir : Beigbeder est un écrivain. L'adaptation de son roman 99F est en ce moment en salles, portée à l'affiche par l'une des nouvelles valeurs sûres du cinéma français : Jean Dujardin. On en profite pour réimprimer le bouquin, qui, couverture médiatique oblige, se retrouve catapulté, sept ans après sa sortie, dans le top des ventes du mois, entre une hagiographie de Sarkozy et le dernier Marc Lévy.
Octave Durden ?
L'histoire de la société de consommation est aussi riche et vaste que celle de sa contestation. Fin des années quatre-vingt-dix, l'heure est à la rébellion. Le Fight Club de Chuck Palahniuk, repris sur grand écran par David Fincher, stimule un début de réflexion chez toute une nouvelle génération d'acheteurs. 99F, c'est un peu la version française de ce discours. Octave est un jeune publicitaire fatigué du monde dans lequel il vit. Il décide de tout faire pour être licencié, tout en écrivant un livre décrivant les arcanes de la manipulation par la pub. Octave, c'est notre Tyler Durden à nous, les hexagonaux. Tyler, c'est ce que l'on appelle en psychologie des foules un "leader charismatique". Quelqu'un capable de transcender une population par un discours hors normes, incisif. Octave, lui, est un observateur cynique, passif, qui a décidé de demeurer à l'intérieur de la "machine" pour mieux la détruire. Le (gros) point commun entre les deux individus ? Ils représentent un fantasme bourgeois, une rébellion bien sapée, qui mange à sa faim et continue de se vautrer dans le luxe tout en le dénonçant. Exemple ; Octave nous décrivant son métier :
« Déjà qu'on est tous des artistes ratés, en plus on nous force à ravaler notre amour-propre et remplir nos tiroirs avec des maquettes jetées. Tu me diras : c'est mieux que de bosser à l'usine. Mais l'ouvrier sait qu'il fabrique quelque chose de tangible, tandis que le « créatif » doit assumer un titre ronflant, un nom ridicule qui ne lui sert qu'à brasser du vent et tapiner ».
Trop dur pour eux
Les ouvriers, paysans et autres travailleurs de force auront du mal à passer outre ce genre de considérations existentielles, et à poursuivre leur lecture. Ceux qui triment dans le froid et l'inconfort, qui se soucient surtout de ce qu'ils pourront mettre dans l'assiette de leurs enfants, peinent à ne pas mépriser ce genre de réflexions. Pardonnez-moi cet antagonisme tranché, mais ce genre d'œuvres est trop souvent adulé, brandi comme un modèle par une foule de jeunes gens assoiffés de contestation, et qui confondent la vie et la survie. Critiquer ainsi la machine, d'un air impertinent et cynique, c'est l'apanage des riches, ceux qui sont dans et/ou "sur" le système, et pas en-dessous. Ne nous appesantissons pas davantage sur le sujet, le risque de voir ce pamphlet être interprété à tort comme un discours coercitif de lutte des classes est déjà suffisamment élevé...
Une jolie coquille presque vide
Le plus pertinent, dans 99F, ce sont les citations. « Ce qu'on est incapable de changer, il faut au moins le décrire » a, parait-il, dit le réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder. Une phrase qui colle bien au livre. Forcément, on ne s'attendait pas à ce que Beigbeder nous propose un contre-modèle, une révolution, ou même une grande réforme. 99F parle d'un système à priori et à posteriori écoeurant, sans être capable de le changer mais surtout sans être capable de véritablement l'analyser. On nous décrit de parfaits salauds, une mécanique du profit et de la manipulation implacable, on nous envoie à la tronche des faits, des chiffres, mais jamais on ne nous explique les rouages de ce système. Comment ? Pourquoi ? 99F se réduit à une diatribe superficielle... Mais classieuse, rebelle. En fait, 99F est tout ce qu'il dénonce : un discours simpliste, qui a peu de fond mais qui "impacte" énormément. Une grosse, très grosse coquille vide.
C'est comme la confiture...
Beigbeder a vraiment écrit ce livre comme un publicitaire : il n'a pas fait des phrases, mais des slogans. Des phrases courtes, pleines d'assonances, de rimes, de jeux de mots, des phrases qui claquent. « Caméléon camé », « Les amants sont des aimants », « un baiser est parfois mieux que baiser » et autres trouvailles toutes aussi gigantesques... Un style vif comme un spot publicitaire, qui ne nécessite presque aucun effort de concentration. Bref, 99F se lit comme on regarde la télé. Le style est redondant : on joue beaucoup sur les répétitions, les successions fleuves d'idées, les énumérations fracassantes. Beigbeder (ou plutôt Octave) nous inonde de références : « Le poumon est l'organe le plus romantique : tous les amants attrapent la tuberculose ; ce n'est pas un hasard si c'est de cette maladie que Tchekhov, D.H. Lawrence, Frédéric Chopin, George Orwell et sainte Thérèse de Lisieux sont morts ; quant à Camus, Moravia, Boudard, Selby, Marie Bashkirtseff et Katherine Mansfield, auraient-ils écrit les mêmes livres sans cette infection ? ». Dans le genre « j'ai plus de mille bios dans ma base de données cérébrale », 99F se place là. Il serait intéressant de savoir si Beigbeder est un fan de la recherche documentaire ou juste un amoureux de la confiture...
J'en entends d'ici brailler : « mais mon pauvre vieux, t'as rien compris au bouquin ». Ouais, ouais. D'accord, Beigbeder n'est pas Octave. Cependant, je n'ai pas aperçu la moindre lueur de mise en abyme du personnage, de contre-critique. 99F, c'est Octave. Et Octave, c'est un révolutionnaire en cachemire, un « anar-bobo » pour reprendre l'expression d'un collègue Krineinien. Jusque là, rien d'inacceptable. Mais cet anar-bobo n'a absolument aucun charisme, ni aucune analyse, au-delà de la poudre qu'il nous envoie aux yeux. Pas de quoi, donc, s'émerveiller, et surtout, pas de quoi réfléchir.