8.5/10Le Voyage d'Anna Blume

/ Critique - écrit par Kassad, le 07/11/2003
Notre verdict : 8.5/10 - Voyage dans le subsconscient (Fiche technique)

Je suppose que Le voyage d'Anna Blume peut, comme par exemple Mulholland Drive, prêter à de multiples interprétations, pas forcément compatibles entre elles mais pas inexactes non plus. En effet Le voyage d'Anna Blume est un roman onirique. Sur la quatrième de couverture on peut lire "le romancier ... nous entraîne ici dans un de ces univers, à mi-chemin du réel et du symbolique". Permettez moi d'exprimer mon désacord le plus grand : je ne vois pas d'où provient ce jugement de "mi-chemin", de plus si celui qui a écrit cela a vu quelque chose de "réel" dans ce roman il faut l'interner rapidement...

Le roman se présente sous la forme d'une lettre écrite par Anna Blume, on ne sait pas bien pour qui ni comment elle a été récupérée. Dans cette lettre y est décrite une ville qui disparaît peu à peu. Anna est à la recherche de son frère qui a disparu. Ce sont ses errances dans ce monde à la dérive qui forment la trame du roman.

Tant que l'on a pas compris la clef de ce livre, la lecture est très dérangeante, on se retrouve dans une ambiance véritablement kafkaïenne. La plupart des propos tenus par Anna, si on les prends au pied de la lettre sont complètements délirants. Par exemple : "Il y a des gens qui sont si minces, écrivait-elle, qu'il leur arrive d'être emportés par le vent ... il n'est pas rare de voir les gens se déplacer par deux ou par trois - parfois ce sont des familles entières ficelées et enchaînées ensemble - pour se lester mutuellement face aux bourrasques". Pour une fois c'est la traduction qui nous sauve. Le titre original du roman est In the country of last things. Littéralement c'est : le pays des choses dernières. Ce titre est lui aussi parfaitement adapté, cependant sa traduction francaise insiste sur la notion de voyage. Par traduction inverse il faudrait parler de "trip", et c'est bien un "trip" sous stupéfiant qui nous est conté dans ce roman.

Paul Auster arrive par la juxtaposition de situations toutes plus délirantes et étranges les unes que les autres à recréer l'impression, le ressenti de quelqu'un (suivez mon regard...) dont les perceptions sont disons altérées par des substances chimiques prohibées. La fixation d'Anna sur des détails, le détournement d'objets : par exemple les charriots pour faire les commissions, utilisés pour collecter des détritus (seule manière de survivre dans cette ville où tout par en capilotade), prennent une place centrale dans la vie des habitants, à un point tel qu'ils se les accrochent à eux par une sorte de cordon ombilical pour ne pas se les faire voler. De là à y trouver une critique acide d'une société où la consomation nous rend tous fébriles il y a un pas que je vous incite à franchir.

Au premier abord Le voyage d'Anna Blumeparaît suréaliste, puis il devient dérangeant et finalement c'est entre les lignes qu'on voit peu à peu apparaître une oeuvre stupéfiante (c'est le cas de le dire) de profondeur et de subtilité sur notre
monde bien réel lui.