8/10True Grit, le livre de 1968

/ Critique - écrit par riffhifi, le 07/02/2011
Notre verdict : 8/10 - Au royaume des borgnes, Rooster Cogburn est roi (Fiche technique)

Tags : grit true portis mattie charles achat roman

Avant le film des frères Coen, il y avait un western de Henry Hathaway. Mais à la base des deux, il y a un livre d’un dénommé Charles Portis, qui vaut son pesant de dollars.

Note : le livre est sorti le 20 janvier 2011, aux éditions du Serpent à plumes.

Les frères Coen livrent cette année leur premier western, avec Jeff Bridges en baroudeur borgne et barbu. Les cinéphiles se souviennent que le rôle était déjà tenu par John Wayne en 1969, mais peu de gens sur le territoire français peuvent se targuer d’avoir lu le roman d’origine, publié aux USA en 1968 mais resté inédit chez nous jusqu’à présent. Les éditions du Serpent à Plumes profitent de la prestigieuse sortie cinématographique de True Grit (dix nominations aux Oscars) pour enfin proposer en librairie le livre de Charles Portis, petit classique de la littérature américaine. Avec la trogne de Jeff Bridges en couverture, marketing oblige. Au fait, Rooster Cogburn porte-t-il le bandeau sur l’œil gauche comme John Wayne ou sur l’œil droit comme Bridges ? Réponse : ce n’est pas précisé par l’auteur. En revanche, il est supposé porter la moustache, ce qui fait que ni Wayne le glabre ni Bridges le barbu ne correspondent exactement à sa description…

L’histoire est racontée par Mattie Ross, une jeune fille de 14 ans dont le père est abattu par un rascal du nom de Tom Chaney. Résolue à venger la mort du paternel, elle loue les services d’un marshal réputé pour ses méthodes radicales : Reuben ‘Rooster’ Cogburn. Ancien soldat confédéré, il a bourlingué de nombreuses années avant de mettre sa carcasse au service de la loi, ramenant les bandits morts ou vifs devant la justice ; malgré son tempérament d’ours et son instinct de tueur, il est mu par de solides valeurs humaines… et par les cent dollars que lui offre Mattie pour la peau de Chaney. Le marshal et la donzelle sont accompagnés par le Texas Ranger LaBoeuf (rien à voir avec Shia – ni avec Walker, d’ailleurs), qui suit la trace de Tom Chaney depuis un bon moment.

« Grit » est un mot difficilement traduisible, qui exprime à la fois le courage, la persévérance et la dureté. Un terme monosyllabique qui sied parfaitement aux personnages du roman, à commencer par la narratrice Mattie Ross. Contrebalançant son sexe et son jeune âge par le sérieux excessif de son attitude, elle fait preuve d’un calme olympien dans toutes les épreuves qu’elle traverse, décrivant les faits plutôt que ses émotions, et citant la Bible à longueur de page sans réaliser le décalage existant entre les enseignements divins et la croisade sanglante qu’elle mène avec ses douteux compagnons. Douteux ? L’auteur rappelle avec malice que la frontière est souvent mince entre le bandit et l’homme de loi, surtout en ces temps troublés de conquête de l’ouest finissante. On nous rappelle que deux des Dalton (les vrais, pas les cousins demeurés que Lucky Luke pourchasse régulièrement) étaient shérifs avant de se livrer au braquage de banques, et la plupart des marshals sont d’anciens brigands à peine repentis (à la manière du personnage de Gene Hackman dans Impitoyable). La différence entre les hommes se fait par la noblesse de leurs actions, et la notion de justice est plus souvent une affaire individuelle que sociale.

Récit d’aventure prenant et efficace, le roman se distingue surtout par ses personnages hauts en couleurs, complexes, et par ses dialogues acérés qui retranscrivent à merveille les tensions, qu’il s’agisse du procès d’Odus Wharton en début d’histoire ou des combats de coq entre Rooster et LaBoeuf (d’ailleurs, Rooster signifie « coq » en anglais !). Leur odyssée picaresque, racontée sur un mode impassible par la jeune Mattie Ross, présente le caractère incongru qui a probablement séduit les frères Coen : le laborieux concours de « lancer de boulettes de maïs », les situations plus sordides qu’héroïques… La lecture est agréable et immersive, cite bon nombre d’anecdotes historiques, et véhicule de vrais sentiments malgré la froideur d’écriture de la narratrice.

Outre les deux films directement tirés du livre, True Grit a inspiré deux suites : Une Bible et un fusil dans lequel John Wayne reprend son rôle, et True Grit : A Further Adventure, un téléfilm de 1978.