9/10Les Trois Mousquetaires

/ Critique - écrit par Kei, le 26/07/2008
Notre verdict : 9/10 - Classique parmi les classiques (Fiche technique)

En 150 ans, l'épopée de Dumas n'a pas pris une ride. Un plaisir pour les grands et les moins grands.

Les Trois Mousquetaires, ce n'est pas seulement un livre de Dumas. Ce n'est pas non plus seulement quelques dizaines de films tirés dudit roman, ni une kyrielle de dessins animés, ni une nuée de reprises plus ou moins heureuses, ni une flopée de pastiches plus ou moins hasardeux. Les Trois Mousquetaires, c'est un nom qui évoque à tout le monde, que ce soit en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, au canada ou aux Etats Unis, qui évoque à tout le monde, donc, l'archétype de l'aventure de cape et d'épée. On sait généralement que le héros s'appelle d'Artagnan, qu'il est accompagné de trois mousquetaires, les dénommés... euh... les dénommés... Bref, il a trois copains, et puis le roi, la reine (la gentille), le super méchant Richelieu et puis Milady. Encore que Milady, on connaît le nom, mais on ne sait pas bien ce qu'elle est. En tout cas, tout ce joli monde aime les costumes à froufrous, les larges chapeaux à plume, les courbettes polies et n'hésite pas à sortir une lame quand l'envie ou le besoin se fait sentir.

Après des années passées dans cet état de semi-ignorance, j'ai donc décidé de me saisir de l'imposant volume (900 pages) écrit par Alexandre Dumas (et ses nombreux nègres, dont l'importance, bien que mal connue, est incontestable) et de me plonger dans les aventures batailleuses et burlesques de nos compères.

Précisons un peu l'histoire. D'Artagnan est un gentilhomme béarnais, issu d'une famille sans grande fortune mais dont la grandeur d'âme n'est plus à prouver. Le père de notre héros lui même fut engagé volontaire dans les guerres de religion sous le règne d'Henri IV, où il fit la connaissance de M. de Tréville depuis devenu capitaine des mousquetaires du roi. C'est tout naturellement qu'il remet donc à son rejeton d'à peine 17 ans une lettre de recommandation et la consigne de se rendre auprès de ce si grand monsieur pour se mettre à son service. Chemin faisant, d'Artagnan se fera déposséder de sa lettre au cours d'une bataille provoquée par sa grande susceptibilité et les manières fort cavalières d'un gentilhomme balafré. Arrivé tant bien que mal à Paris, il se rend droit chez M. de Tréville, chez qui il est reçu avec bienveillance. Las ; celui-ci ne peut offrir au jeune homme une place chez les mousquetaires, ceux-ci étant sélectionnés après quelques années de très bons et très loyaux services, ou au moins à la suite de quelque action d'éclat. Alors que M. de Tréville rédige une lettre de recommandation pour qu'il trouve une place chez les gardes, le jeune gascon se rue dehors à la poursuite de son balafré qu'il vient d'apercevoir, non sans provoquer en duel Athos, puis Porthos et Aramis, le tout en l'espace de 10 minutes. Duels qui se transformeront finalement en une rixe entre gardes du cardinal et nos quatre compères devenus compagnons d'armes. Le reste implique le Duc de Buckingham, fort épris de la reine Anne d'Autriche et prêt à déclencher une guerre entre la France et l'Angleterre pour les beaux yeux de la dame ; le Cardinal de Richelieu, veillant avant tout aux intérêts du pays et voulant faire échouer cette idylle naissante qui aurait pour conséquence de faire de Louis XIII le cocu le plus célèbre et le plus raillé d'Europe ; Milady, dame fourbe au passé trouble jouant de ses charmes et de ses armes pour avancer au milieu d'intrigues qu'elle connaît sur le bout des doigts.

Les Trois Mousquetaires est le roman fondateur d'un genre : le roman de cape et d'épée. Les différents protagonistes sont tous jeunes, beaux, adroits aussi bien avec l'épée qu'avec le verbe, ils n'ont peur ni de la mort ni de la torture. Ils ne craignent que pour leur honneur et le défendent becs et ongles. Chacun est un cliché, venu tout droit du monde du théâtre et repris avec bonheur par Dumas. D'Artagnan est le héros par excellence, dont le seul défaut est un sang un peu trop chaud et un faible pour les sourires de demoiselles. Athos est un grand seigneur ténébreux noyant ses pensées dans l'alcool. Porthos est bon vivant, grivois, souvent grisé mais hélas pas très fin d'esprit. Aramis est raffiné, adroit, très éduqué et tiraillé entre ses voeux pieux et sa foi d'un côté et son amour pour une grande dame (amour qui s'accommode bien de la vie de mousquetaire) de l'autre. Mme Bonacieux est la petite bougeoise par excellence, celle qui va motiver les choix des héros, Milady la femme fatale, séduisante, intelligente, intrigante et diabolique. Le Duc de Buckingham est le grand romantique, bien né et disposé à tout pour sa belle, sans aucune considération pour le reste du monde. La reine n'est au final que la reine. Dépassée par les événements, elle se contente de parer au plus pressé en s'en remettant aux mains de ses subalternes et de leurs alliés. Le roi est un grand gamin, peu intelligent, mais suffisamment pour s'entourer de gens brillant, comme de Tréville et Richelieu, qui jouent dans le roman les rôles de la bonne et de la mauvaise conscience de sa majesté (du point de vue des héros). Seul personnage plus complexe : celui du Cardinal. Tout dévoué à sa tâche et à la grandeur de la France, qui est par extension la sienne, il plane au dessus du jeu, intouchable, omniprésent et quasi omniscient.

Des personnages un peu simples n'ayant pas grand chose de novateur, mais qui prennent sous la plume de Dumas une tout autre consistance. Principalement parce que Dumas possède un style fantastique1, très moderne et à la fois très classique, reprenant un vocabulaire et une manière de s'exprimer empruntés au théâtre pour les appliquer à son intrigue, à son feuilleton. Les joutes verbales n'ont pas le panache de celles de Cyrano, mais elles sont toutes aussi jouissives, et bien plus accessibles pour le jeune public, auquel ce roman s'adresse principalement de nos jours. Il y a 150 ans de cela, lorsque le roman fut publié sous forme de feuilleton, il y a fort à parier que la cible n'était pas la jeunesse du pays, mais bien tous ceux pouvant savant lire et cherchant de quoi se distraire. Mais les personnages parfois un peu faibles couplés aux retournements de situations improbables (les personnages qui passent d'un camp à l'autre après deux simples phrases de leurs futurs-ex-adversaires) ont de quoi énerver le lecteur un peu averti. La publication sous forme de feuilleton a elle aussi quelques effets pervers qui se font ressentir. Ainsi la captivité de Milady durera pas moins d'une centaine de pages, au cours desquelles l'action se met en pause, et pendant lesquelles ont attend le dénouement annoncé après quelques dizaines de pages seulement. On trouve ici et là des passages assez pénibles tenant plus du remplissage que du développement de l'intrigue. L'intrigue en elle-même n'est pas terriblement compliquée. Elle est composée de plusieurs parties qui pourraient se suivre sans transition et presque sans lien les unes avec les autres, mais qui se superposent grâce au génie de Dumas pour faire de l'ensemble une grande épopée.

Mais si on peut penser que ce roman s'adresse aux jeunes lecteurs (enfin pas trop quand même), c'est surtout à cause de la très grande légèreté avec laquelle sont traités tous les sujets. Parmi ceux-ci, citons pour commencer l'adultère. Le mot n'est jamais prononcé, mais les mousquetaires, ces grands sires que tout le monde admire, ces gentilshommes qui représentent la fine fleur de la vie parisienne, ne s'aventurent que vers des femmes mariées. D'Artagnan jette son dévolu sur la femme de son logeur, vieux bourgeois aigri ne la touchant pas, Porthos sur celle d'un vieux gripsou, et le Duc de Buckingham sur la reine de France. Tous les maris cocus rencontrés dans le roman (et le roi n'en fait a priori pas partie, Anne d'Autriche aimant jouer avec le désir de son prétendant) présentent les même caractéristiques : ils sont vieux, mariés à des femmes plus jeunes qu'eux d'une trentaine d'années au moins, et sont plus intéressés par l'argent que par leurs épouses. Couplez à cela l'amour véritable des amants (excepté Porthos, qui en tant que rustre plus attiré par la bonne chair que par l'idéal amoureux n'en veut à sa "duchesse" que parce qu'elle est potentiellement assise sur une mine d'or) et vous aurez une quasi justification de l'adultère. N'oublions cependant pas qu'à l'époque, le mariage est toujours arrangé. Mais cocufier un petit homme rat et aigri a toujours fait rire les foules. L'autre point surprenant, c'est la naïveté avec laquelle est traitée la mort. Dans les Trois Mousquetaires, on fusille, on perce, on étripe, on éventre à tout va et on fait les poches des cadavres, tout gentilhomme que l'on soit. La mort et la guerre sont perçues comme ces batailles que font les enfants. On se bat pour un oui et pour un non avec une naïveté toute enfantine. Les seules morts pour lesquelles on peut éprouver quelque chose sont celles des femmes, qu'elles soient amantes ou ennemies. Autre point déjà évoqué, la facilité avec laquelle les personnages secondaires retournent leur veste ici et là. Une phrase de Milady change un homme résolu en un pantin, deux phrases de D'Artagnan suffisent pour convaincre un roi, les ennemis deviennent amis en un rien de temps... Cela renforce encore la sensation de suivre des enfants jouant dans une cour de récréation immense, avec des jouets dangereux.

Les seules valeurs des personnages, qu'elles soient l'honneur, l'obéissance à l'autorité (on ne discute pas un ordre de monsieur de Tréville ou du roi), les pieds de nez faits à l'adversaire à la moindre occasion, le goût pour l'aventure ou bien encore cette insousiance farouche font d'eux des modèles simples et clairs qui marquent facilement les esprits et font rêver sans grande difficulté. Il est d'ailleurs amusant de voir que ces traits qui marquent les personnages de Dumas sont aussi ceux qui assurent le succès des shônen, manga destinés à un jeune public masculin (parmi les grand noms : Dragon Ball, One Piece, Les Chevaliers du zodiaque). Ce sont dans les vieux pots que l'on fait les meilleures soupes. C'est aussi ce qu'a dû penser Dumas, puisque s'il n'a pas véritablement inventé ces traits de caractère, c'est lui qui a eu l'idée de mélanger avec bonheur le roman historique, traditionnellement un peu fade et intellectuel, et des aventures humaines fantasmées. Le roman de cape et d'épée, docu-fiction du XIXe siècle.

PS : Il est très amusant de constater que la devise, "un pour tous et tous pour un", qui est devenue à elle seule l'emblème du livre, n'est prononcée qu'une ou deux fois dans tout le roman.

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Notes :

1 Bien que de nombreux passages aient été écrits par des nègres sans retouches postérieures par Dumas (nombre de documents l'attestent), on peut tout de même considérer que c'est bien lui qui a imposé le style du récit. N'oublions pas non plus qu'il en a été l'auteur d'une très grande partie.