6/10Tourville

/ Critique - écrit par Kei, le 05/10/2007
Notre verdict : 6/10 - Génial ou nul ? Trop long pour l'un, trop novateur pour l'autre. (Fiche technique)

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Trop long. Voilà le seul reproche que l'on peut faire à ce roman déjanté, barré, qui met un coup de 45 fillette au derrière du lecteur.

La description d'un livre faite par un éditeur est toujours emphatique. "Débordant d'ambition", "le gonzo-reportage de la fin du monde", voilà ce qu'on peut lire sur le quatrième de couverture. Mais pour une fois, ce ne sont pas des paroles en l'air. Même avant sa sortie ce livre avait déjà commencé à faire parler de lui. A travers sa page MySpace et celle de l'éditeur par exemple. Mais c'est depuis son arrivée sur les rayonnages de nos bons libraires préférés que l'affaire Tourville a pris un autre tour. Même en faisant omission des multiples blogs qui consacrent des articles longs comme le bras au livre et à son auteur, on trouverait encore le site web du Diable Vauvert et son forum, sur lequel Jestaire vient incarner son héros et sa démence, ainsi que teletourville.net, alter égo bien réel d'une chaîne de télé du roman, et surtout un long article dans le figaro littéraire couplé d'un second dédié aux dix auteurs à découvrir à tout prix, articles qui auront fait couler beaucoup d'encre, même virtuelle.

Mais Tourville mérite-t-il tout ce cyber-ramdam ? Sans aucun doute. Livre complètement barré et atypique, il sort incontestablement du lot. Mais il est très loin d'être exempt de défauts et s'il constitue une lecture sans équivalant, le plaisir que l'on y prend n'est pas toujours aussi extatique que ce que l'on peut lire ici et là.

Car Tourville, c'est avant tout un énorme pavé de 800 pages écrit dans un style qui fait mal au crâne comme un lendemain de cuite. Ce n'est qu'avec un peu d'habitude que l'on commence à comprendre la suite de mots que l'on a sous les yeux et que l'on peut commencer à apprécier la folie du monde décrit ici. Le héros, Jean-Louis Nabucco, est un type au cerveau a moitié frit. Intermittent du spectacle toujours en rade de tout, il reçoit un beau jour un joli courrier lui annonçant la mort d'un de ses amis d'enfance. Ni une ni deux, par un horrible soir il part de la ville lumière pour l'enfer du périph' et de l'auto stop sous la pluie, direction le trou qu'est Tourville pour y mener son enquête. Rien de bien nouveau sous le crachin nordique où a lieu le roman, mais le style pour lequel a opté Jestaire transforme ce qui aurait pu être un roman de gare en une chose que l'on admire et que l'on craint.

Plus proche du parlé que d'autre chose, le style rappelle étrangement les inepties que peuvent débiter toutes la journée les hurluberlus allumés que l'on croise dans la rue. Un long monologue sur tous les sujets possibles et imaginables, dans lequel les idées s'enchaînent dans le plus total désordre. Une logorrhée qui contient ici et là des bribes d'informations qui constituent l'histoire, dont on n'a très vite plus rien à faire. Le héros est à moitié fou et atteint d'une maladie lui court-circuitant la mémoire très régulièrement. Il en est réduit à vivre dans le présent, ce qui lui convient très bien, et à enregistrer en DV sa vie pour la regarder plus tard, ce qui lui convient encore mieux puisque cela lui permet de flatter son ego de réalisateur mésestimé et sa prétention aux chefs d'oeuvres cinématographiques suburbains post-déconstructionnistes à influence contemporaine. Une telle avalanche d'informations inutiles, truffées de références à tout et n'importe quoi (wikipedia et google peuvent vous aider à comprendre le livre, vous ne pouvez pas comprendre toutes les références, ce n'est pas possible) transforme assez vite le lecteur en Jean-Louis Bis. Peu importe ce qui s'est passé avant, la suite aura sans doute peu de rapport. On profite des phrases que l'on a sous les yeux sans penser ni au début ni à la suite, en se disant qu'un jour on aura le fin mot de l'histoire. Et puis on en arrive à se moquer du fin mot de l'histoire, et à simplement contempler la déchéance improbable de la ville de Tourville. Sous nos yeux ébahis défilent toutes les atrocités possible et imaginables. Loin de s'habituer à tant d'avilissement, on est en permanence secoué par ce que l'on lit. On va toujours vers le pire, que ce soit question violence, hygiène, drogue, société, sexe... Toujours plus loin, toujours plus gros, toujours plus fort. Et on finit par aller trop loin. Chacun a ses limites, son point de rupture. Le mien a été atteint pendant la lecture, et à partir de là j'ai dû sortir du roman pour pouvoir continuer à le lire. Le considérer comme une fiction décrivant ce que pourrait être la fin du monde, pas comme un délire malsain, ce qu'on à tendance à penser lorsque l'on se rapproche de ce point de rupture.

Le début du livre est pénible. Il semble décousu et fait mal au crâne. S'ensuit une grosse partie tout simplement jouissive. Mais le final tient plus de l'overdose que la simple lassitude. Non seulement on nous donne les clefs de la compréhension, clefs dont on se fiche maintenant complètement et qui déçoivent plus qu'autre chose, mais cette manière de désorganiser les pensées du protagoniste principal commence à taper sur les nerfs et l'avilissement décrit donne la nausée. Il aurait fallu que le livre soit plus court, qu'il se perde moins dans les divagations de son héros. Il reste tout de même plus qu'une simple curiosité littéraire. Mais de là à dire qu'il s'agit de l'émergence d'un nouveau style littéraire, comme on peut le lire parfois, il y a un pas que je m'abstiendrais de franchir.