Stupeur et tremblements
Livres / Critique - écrit par Filipe, le 18/02/2004 (Tags : amelie nothomb livre stupeur auteur tremblements livres
Monsieur Haneda était le supérieur de monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito, qui était le supérieur de mademoiselle Mori, qui était ma supérieure. Et moi je n'étais la supérieure de personne.
On pourrait dire les choses autrement. J'étais aux ordres de mademoiselle Mori, qui était aux ordres de monsieur Saito, et ainsi de suite, avec cette précision que les ordres pouvaient, en aval, sauter les échelons hiérarchiques.
Donc, dans la compagnie Yumimoto, j'étais aux ordres de tout le monde.
Malgré cela, Amélie espère bien pouvoir faire ses preuves dans ce pays qui la fascine tant depuis sa plus tendre enfance. Ayant vécu au Japon une part de son existence, elle y fait maintenant ses tous premiers pas en tant que salariée d'une grande compagnie. Observer à la fois les cérémoniaux et les usages spécifiques aux entreprises nippones. Ignorer les non-dits qui émanent du profond mépris de ses supérieurs à son égard. Faire face à une étonnante série d'humiliations de diverses natures. Amélie ne prévoyait pas un tel acharnement hiérarchique. Elle n'aura jamais l'occasion d'exposer ses talents de traductrice, comme le prévoyait son ersatz de contrat.
A la lecture de cet ouvrage, je n'ai guère enduré de stupeur, ni même éprouvé matière à tremblement. Son nombre de pages et son niveau de langue, tous deux inhabituels, tendent à lui porter préjudice. De plus, l'ouvrage s'apparente à une simple série entière de mini-événements sans grande gravité, fraîchement extraits d'une aventure étonnante, autrefois vécue par la narratrice herself. Cet enchaînement de courtes péripéties ne donne lieu à aucune analyse réelle de sa part, ce qui lui est totalement reprochable. Elle a tout juste le temps de produire une poignée d'observations subsidiaires, liées à sa propre expérience et à celles des Japonais qui l'ont plus ou moins entourée lors de son séjour à l'autre bout du monde.
Ainsi, à travers ses nombreuses fautes professionnelles, elle révèle une série de dogmes et énonce un véritable code de conduite au travail qui est à la fois basé sur un profond respect et une obéissance totalement aveugle envers toute forme de Direction. La narratrice consacre également une part évidente de son ouvrage aux statuts d'employé et de femme au Japon - On conspire contre [leur] idéal depuis [leur] plus tendre enfance. On [leur] coule du plâtre à l'intérieur du cerveau - et fait même une très courte excursion narrative hors des locaux de son entreprise pour célébrer l'esprit de convivialité qui y subsiste, et qui s'oppose en droite ligne au fonctionnement interne de sa compagnie.
Ainsi, malgré son manque d'introspection, son faible niveau de langue et son extrême exiguïté, qui sans cesse nous malmène d'une page à l'autre, il demeure que cet ouvrage est un divertissement de bonne facture, dont l'étonnante absurdité et la franche bonne humeur qui s'évapore de chacune de ses pages sauront égayer votre propre perception, certainement plus occidentale, du monde du travail. Amélie Nothomb y développe une réaction tout à fait étonnante face à l'avilissement, ce qui lui confère une certaine originalité. Originalité qui lui a tout de même valu le Grand Prix du roman de l'Académie française en 1999.
« Monsieur Haneda est un homme remarquable. Il est très intelligent et très bon. Hélas, il est hors de question que vous alliez vous plaindre à lui. »