8/10Rêves de Cabane

/ Critique - écrit par gyzmo, le 21/11/2008
Notre verdict : 8/10 - Architectes pragmatiques : NO TRESPASSING ! (Fiche technique)

Tags : cabane reves david francois reve bois enfants

Initialisé par les Editions Sarbacane, Rêves de Cabane exauce sous nos yeux émoustillés trente-deux rêves uniques, issus de l’esprit inspiré d’autant d’artistes.

A l’heure où l’émission de Valérie Damidot fait baver d’envie les gens de goût qui ambitionnent un jour dans la vie de prendre leur petit-déjeuner dans un nouveau chez-soi semblable à un décor bien flashy de plateau de télévision ( !?), tenons-nous loin de ces feux de la Rampe et galopons vers une autre sorte d'asile en toc où nombreux sont ceux à y avoir déjà mis un orteil : la cabane. Hum… Pas celle au fond du jardin ou située dans les profondeurs boisées du Canada, voyons. La cabane que j’ai en tête est beaucoup plus proche de nous. Elle est écologique, trouvée par hasard dans le creux d’un buisson. Elle est faite à la va-vite avec trois bouts de bois par notre papa bricoleur du dimanche. Elle est assemblée sans aucune logique architecturale de gros cartons et un drap, tout ça, avec nos petites mains potelées. Vous me suivez ? Ah ! Voilà ! C’est à l’intérieur d’elle que notre imagination débordante n’avait pas de limite et pouvait nous faire passer – aux yeux des adultes grincheux, pour un imbécile heureux. Bref. LA cabane. Celle de notre enfance.

Arnaud Hug
Arnaud Hug
Initialisé par les Editions Sarbacane, Rêves de Cabane exauce sous nos yeux émoustillés trente-deux rêves uniques, issus de l’esprit inspiré d’autant d’artistes. L’ensemble, lié après coup par le verbe mélodieux d’un seul : le poète et écrivain François David. Un exercice de style tout à fait virtuose qui n’en est pas à son premier balbutiement, comme en témoigne Un éléphant peut en cacher un autre (2005) et Un loup peut en cacher un autre (2006) – du même éditeur, et suivant le même concept. Trente-deux bâtisseurs d’univers, donc, se sont lancés dans la confection respective de leur havre de paix idéal, à partir de styles totalement hétérogènes. Peinture, collage, crayon, dessin de presse, photo montage, maquette, graphisme. Une liberté affranchie de frontières comme aimerait l’être l’espace de jeu agité d’un enfant. Tour à tour, les réalisations ravivent le souvenir ensommeillé, impressionnent par leurs justesses ou intriguent par leurs curiosités, se succèdent sans jamais se correspondre. Techniquement, en tout cas. Car parmi ce véritable patckwork de couleurs et de matières – à se régaler les mirettes je vous assure, l’inspiration tourne légèrement en rond autour de l’idée convenue de ce que pourrait être une merveilleuse cabane. Ainsi, qu’elles soient clouées dans l’arbre, assoupies dans le nuage, au milieu d’un îlot, au sommet d’une montagne, ou voire même hors sujet (la Our House de Tom Schamp ?), ces sortes de clapiers pour gosses en insuffisance de fantaisie ne brillent pas toujours par leur mise en situation une larme ordinaire. Heureusement, l’autre moitié de ces Rêves de Cabane a l’audace de loger son lecteur dans de bien jolies bulles de fortune. Le cabanon sur pilotis mouvants de Gilles Bachelet, le mystérieux abri six pieds sous terre de Chris Haughton, l’improbable cachette de Nicolas Duffaut, ou encore le cocon perché de Arnaud Hug, toutes ces trouvailles ingénieuses ont de quoi doper le mythe de la cabane tel que nous le construisons dans l’imaginaire collectif à travers nos souvenirs de jeunesse.

Antoine Guilloppé
Antoine Guilloppé
De ce fil conducteur tissé par divers artistes, François David est parvenu à broder de réjouissants petits poèmes, jouant tantôt sur les termes, sans pour autant oublier de travailler parfois la forme et coller au plus près à ses muses graphiques (L’imaginaire vertical de Catherine-Jeanne Mercier ; la racine souterraine de Chris Haughton). L’un de ses éventuels objectifs ? Interpréter à sa sauce les créations picturales de ses partenaires et essayer de dégager une lecture différente, et au mieux, pouvant exister indépendamment. L'auteur réussit d’ailleurs la manœuvre de nous apporter sur un plateau d’argent une vision assurément complémentaire… dont l’encre de la plume utilisée n’est pas sans rappeler les phrases et la grammaire de Jacques Prévert. Pourtant, la post-production opérée par François David n’atteint pas toujours les cimes lyriques escomptées. Dans ces quelques moments à l’inspiration fluette, sa prose se contente de définir par des mots ce que l’on voit dans l’image. Ces paraphrases de l’évidence et autres descriptions paresseuses peinent à soutenir la puissance des rêves de cabane mis en lumière par certains illustrateurs. A titre d’exemples, le texte de David ne prolonge pas suffisamment la représentation – certes vieillotte (et paradoxalement à la mode), de l’artiste peintre Max Ducos qui, en mélangeant plusieurs ambiances, évoque brillamment les effets fantasmatiques de la cabane sur ses jeunes locataires. Le joyeux quartier plein de vie de Catherine Meurisse (un nichoir en guise de maison, les branches d’un arbre conformes à des ruelles, tout un tas d’oiseaux dans le rôle des habitants) n’est pas mis en valeur par le poème de David, lequel aurait mérité d’être carrément moins terre-à-terre et plus rigolo. A contrario, d’autres vers libres du poète proposent bien souvent de fabuleuses interprétations à partir d’une composition picturale toute simple.  De ce fait, grâce à la prose, le rêve perché à l’esthétisme excellent de Antoine Guilloppé se mue en maison de retraite pour reptiles fada de farniente. François David est également à l’aise lorsqu’il s’agit de tomber sur la bonne formule pour décrire une ambiance (l’arbre sparadrap de Hugo Piette) et contourner avec humour les envolées surréalistes pas commodes à décrypter : le métissage mignonnet de Anouk Ricard ; les gens bons (à fond Magritte) de Maurizio A. C. Quarello. Quoiqu’il en soit, sur la longueur et dans son rôle de barde, le bonhomme assure plus qu’il ne déchante.


Puisqu’il profite d’un ensemble visuel absolument bigarré
où chaque art conviendra à toutes entrailles,
à moins d’être un morfale.
Vu que les textes qui l’illustrent sont au diapason,
sonnent justes, exaltent, délirent,
en majorité, tout du moins.
Malgré quelques inégalités, quelques incertitudes,
idées élémentaires et autres poncifs casse-pieds.
Ce livre jeunesse qu’est Rêves de Cabane,
l'un après l'autre, et l’un dans l’autre,
il remonte la marche de l'horloge,
projette à mille lieues à la ronde,
vers une temporalité profondément enfouie,
cap sur l’atemporel nouveau monde,
comme la machine à voiles qui voyage
orientée par l’imaginaire,
cette brise, cette rafale, cette tempête
indomptable.

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Rêves de cabane, François David - collectifs d'illustrateurs © 2008, éditions Sarbacane