8/10Rage

/ Critique - écrit par Otis, le 22/08/2006
Notre verdict : 8/10 - RAGE ! (Fiche technique)

Tags : rage vaccination virus animaux souris animal maladie

King a retiré ce livre de la vente aux Etats-Unis. Il le considérait comme « Un mode d'emploi », « Une stratégie pour comment tuer ses profs ».
Adolescent, Charlie Decker s'adresse aux adultes avec désinvolture, finit par tuer sa professeur et prend en otage toute sa classe. Charlie n'est pas fou et il sait ce qu'il fait. Alors pourquoi ce "pétage de plomb" ?

Rage, c'est avant tout l'histoire d'un ado ; un ado qui se rejette. Même le suicide n'est pas compatible avec son malaise : il comprend rapidement que son agitation intérieure tire son origine de son propre entourage. Un père presque alcoolique, une mère possessive, quelques camarades de classe, un système scolaire morcelé avec, en fond de toile, la société américaine. Richard Bachman est un chasseur et il vise bien. Oui, c'est l'histoire de cet ado pas aussi complexé qu'on ne le croit, qui va bientôt rentrer à l'université sans se détacher de son bout d'enfance. Au fond de lui, des traces. Des traces et une rage qu'il s'efforce tant bien que mal d'avaler... jusqu'à l'explosion. Il ressasse ses souvenirs, les crache sans vergogne devant ses camarades de classe. C'est bien pour ça qu'il a tué sa prof de mathématiques : "Trop, c'est trop !" Car ce qu'il désire avant tout, c'est une reconnaissance ; mais son voeu le plus cher pourra peut-être s'avérer prétentieux : chacun doit se regarder dans le miroir et pourquoi pas s'accepter.

Voilà toute la force de ce drame contemporain : pas de complexes psycho-neuneux, pas de morale niaise, ni de mélancolie nombriliste, Rage va droit devant et vous loge une balle là où ça fait mal. Une judicieuse thérapie qui part d'un huis clos où les confessions intimes de chacun nous brossent l'instant d'un dialogue ou d'un geste, une psychologie menée avec une rare puissance d'orchestration.

Et peut-être que cette phrase résume parfaitement le livre : Quand on a cinq ans et qu'on a mal quelque part, on crie pour que le monde entier soit au courant. A dix ans, on gémit. Mais dès qu'on arrive à quinze, on commence à grignoter la pomme empoisonnée qui pousse sur votre arbre de douleur personnelle (...). On commence à bouffer ses poings pour étouffer les cris. On saigne à l'intérieur.
Ce qui fait de cette histoire un drame profond, c'est que Charlie n'a rien d'un fou, c'est un type qui a juste refusé de rentrer dans le jeu d'une société qu'il juge hypocrite et mesquine. Surtout, pas de morale, pas de gauchisme, pas de marxisme. Non, c'est une sorte de pétage de plomb qui progresse et qui ronge. Ce livre est un cri et n'a rien perdu de sa force avec le temps, bien au contraire : il nous parle encore - car toujours d'actualité.

On ne ressort pas indemne de ces 250 pages de ce que l'on peut considérer comme le premier roman écrit par King, sans doute une de ses oeuvres les plus personnelles. Ce livre est une tragédie à l'envers, un drame éclate dès le début dans votre tête de lecteur et s'étire au fil des pages dans celle des lycéens. Là où tout à commencer pour King, là où l'horreur ne surgit pas des monstres fantastiques, sortie tout droit d'un événement inexplicable. Violente, cette histoire pue la réalité à chaque page, chaque mot. Cette moiteur est d'autant plus effrayante qu'elle est déjà arrivée... Columbine ou le souvenir revigoré.

Rage ou la preuve que King n'est pas seulement un faiseur d'histoires fantastiques. Le masque tombe et le sang coule. Assurément, l'un de ses meilleurs livres.