10/10Le Portrait de Dorian Gray

/ Critique - écrit par Kei, le 04/03/2006
Notre verdict : 10/10 - Rah lovely (Fiche technique)

Difficile de parler d'un classique de manière pertinente, surtout si vous êtes, comme moi, une personne que les études de texte dans les petites classes ont toujours énervé. Ne prenez pas cette critique comme étant une analyse, où une critique littéraire. Il ne s'agit que d'un point de vue, par une personne lisant pour le plaisir uniquement, et qui serait bien en peine si vous lui demandiez une analyse classique de ce roman.
Difficile aussi de ne pas donner la note maximale à ce chef d'oeuvre de la fin du dix-neuvième siècle.
Difficile enfin de communiquer tout l'enthousiasme que m'inspire ce livre.

C'est grâce à un vieux souvenir, celui d'une adaptation en bande dessinée du Portrait de Dorian Gray lue au collège, que je me suis intéressé à ce livre. Pour un néophyte comme moi, dont la culture "classique" se limite plus ou moins aux livres lus en cours de français, c'était l'occasion de lire autre chose que de la science fiction ou du fantastique, et de pratiquer l'anglais, puisque pour une fois, un livre en version originale est vendu à un prix dérisoire (2,40€ chez Penguin Popular Classic).

La première page a bien failli avoir raison de la bonne volonté : The Picture of Dorian Gray s'ouvre sur une longue description d'un magnifique après midi d'été. Une entrée en matière plutôt dure, surtout lorsqu'on ne maîtrise pas très bien la langue. Je persiste. Grand bien m'en a pris ! Toute cette description n'est qu'une introduction au personnage de Dorian Gray, et à son incomparable beauté. Une beauté figée sur la toile avec une maîtrise incroyable par son ami, le peintre Basil Hallward. En voyant son portrait, Dorian regrette que cette représentation de lui même ne soit pas altérée par les ravages du temps, alors qu'il est condamné à vieillir. Dans un élan lyrique, il souhaite que les rôles soient inversés, qu'il reste éternellement jeune tandis que son portrait vieilli, et clame qu'il offrirait son âme pour voir son souhait exaucé. Dorian est entendu par une force mystérieuse : il garde sa beauté et sa jeunesse, son portrait vieilli et porte les stigmates de son avilissement.

Dans ce roman, Oscar Wilde dépeint toute la bonne société anglaise du dix neuvième siècle, avec un regard corrosif. Personne n'est épargné, les riches comme les pauvres, les citadins comme les ruraux, les drogués comme les prudes. Au fil du roman défilent une myriade de personnages, de tous les âges et de toutes les classes sociales. A aucun moment l'un d'entre eux n'est glorifié pour ce qu'il fait, pour la position qu'il occupe, ou pour ce qu'il représente. Chaque personnage est présenté comme un amoncellement de défauts, certains plus graves que d'autres, et ceux qui paraissent respectables ne sont finalement que les moins atteints. Dorian est un être abject, tout comme Lord Henry, et comme la plupart des figures de ce roman. Le regard hautain qu'ils posent sur le monde, leur mépris de tout ce qui ne rentre pas dans leur vie de bourgeois pédant, leur dégoût de ce qu'ils appellent la vulgarité, mais qui n'est finalement que la vie des gens du peuple, ou encore leurs théorie sur la façon de mener sa vie, tout cela leur confère une aura détestable. Et pourtant, ils sont fascinants. A aucun moment on ne voudrait s'intéresser au pauvre Basil, tant il est morne, raisonnable et sensé. Oscar Wilde nous met face à nos propres démons, en nous montrant que ceux que nous idolâtrons ne sont pas ce à quoi l'on aspire. Ces personnes qui fascinent et sont le centre de toutes les attentions ne sont finalement que les plus cyniques, les plus froids et les plus calculateurs. Vous comprendrez alors sans aucun doute les remous qu'a causé ce livre lors de sa parution.

Mais là ou le livre devient grandiose pour le lecteur, ce n'est pas dans la critique de la société qu'il dépeint, mais dans la narration. Oscar Wilde nous montre ici à quel point il maîtrise la langue et les procédés de narration. Une grande place est laissée aux dialogues, qui ressemblent en fait plus à des monologues apposés qu'à une véritable discussion. Généralement, un personnage parle, et l'autre l'écoute, en acquiesçant de temps à autre. Et là où on remarquerait le peu de naturel de ce genre d'échange, on ne voit qu'une logique imparable, qui ne parait pas du tout déplacée. Tout ces longs discours ne servent en fait qu'à construire le personnage de Dorian Gray, sa personnalité. En plein milieu du roman, le ton change : après un long chapitre descriptif racontant la vie de Dorian au travers de ce qu'il porte, de ce qu'il possède, et de ceux qu'il domine, qui marque la séparation entre les deux parties du roman, on assiste à la fin du héros. Et pour cela, il n'y a pas besoin de discours, de longues dissertations ou de l'endoctrinement du bon Lord Henry. Les dialogues deviennent normaux, dans le sens où les phrases sont courtes, moins réfléchies, moins élaborées. La situation change aussi : là ou Dorian apprenait tout, là ou il découvrait son potentiel et celui de sa beauté, on trouve un homme toujours aussi beau, mais sur de lui, de sa beauté et de la domination qu'il exerce sur son entourage. Le type d'action change lui aussi. Après les salons, l'opéra, la peinture, après la phase d'apprentissage en somme, viennent les réceptions, les parties de chasse, les voyages, la campagne. Dorian est mur, il vole de ses propres ailes au sein de la société, mais cela n'est jamais dit explicitement. Oscar Wilde le fait juste sentir, à travers le changement de style global du récit.

Outre l'exceptionnelle maîtrise dont fait ici preuve Oscar Wilde, il faut bien reconnaître que l'histoire en elle même est passionnante. On a affaire à un mythe contemporain, touchant fortement au domaine du fantastique. Dorian Gray n'est à la base qu'un jeune homme qui n'a pour lui que sa grande beauté, et qui ne serait jamais devenu ce qu'il est sans Lord Henry et son mystérieux livre. On assiste, en simple spectateur, car Oscar Wilde ne nous implique jamais dans l'histoire, à sa montée dans l'univers du Londres mondain du dix-neuvième siècle, et à sa chute, aussi brutale et violente que l'a été sa révélation.

The Picture of Dorian Gray est un chef d'oeuvre, un livre à posséder absolument. Et si vous ne voulez pas débourser un centime pour vous le procurer, sachez qu'il est tombé dans le domaine publique, et qu'il est disponible gratuitement via le projet Gutenberg, ou encore authorama.