Oscar et Irma
Livres / Critique - écrit par hiddenplace, le 17/12/2008 (Tags : eur christine irma jazz oscar sevres musique
Les histoires d'amour finissent... pas toujours mal, en fait. Forcément, quand on ne s'appelle pas Roméo et Juliette, ou Tristan et Iseut, ça aide...
Les histoires d'amour finissent... pas toujours mal, en fait. Forcément, quand on ne s'appelle pas Roméo et Juliette, ou Tristan et Iseut, ça aide. Ici, il est question d'Oscar, qui est miro et pas beau, et originaire de Saint Ouen, et d'Irma, une fille-mère jolie « comme un bigoudi ». Et tout au long de l'album, plus précisément d'une chanson fredonnée par Christine Sèvre, ils s'aiment, tout simplement, presque en dépit de tout ce qui les entoure.
Dans leur collection La prochaine fois, je vous le chanterai, les éditions du Rouergue ont pris pour objectif de mettre en image l'intégralité des paroles d'une chanson française à texte, et de faire découvrir à la jeune génération des titres parfois injustement oubliés. Les paroles d' Oscar et Irma, écrites par Jean Obé, mises en musique par Marcel Yonnet, et interprétées par Christine Sèvre, ont donc été illustrées ici par Aurélia Grandin. L'album est accompagné d'un CD permettant d'écouter la chanson ayant inspiré les images.
Illustration d'Aurélia GrandinPourquoi l'art et la littérature s'attardent-ils essentiellement sur les histoires d'amour tragiques ? Oscar et Irma sont à mille lieues d'être qualifiés de héros ou d'icônes du genre, ce sont des gens ordinaires, pas vraiment fortunés, et plutôt amateurs d'amour et d'eau fraîche. Leur histoire d'amour est tout aussi ordinaire, et pourtant... ils y croient un peu, eux. Et nous aussi par la même occasion. Pendant que l'on écoute la chanson Oscar et Irma, teintée du célèbre accent « titi » parisien, on parcourt les illustrations chaleureusement touffues d'Aurélia Grandin. On respire à grande lampées les effluves légèrement passéistes qui nous rappellent l'imagerie d'une Amélie Poulain un peu plus ordinaire que le personnage de Jeunet. C'est un voyage dans le temps qui s'opère, entre les quartiers populaires du Paris des années 50, et ramenant à chaque page des souvenirs anodins, superposés et faisant le lien entre nos deux amoureux. Déjà fidèle à d'autres univers musicaux, Aurélia Grandin a illustré notamment les pochettes oniriques et poétiques des Ogres de Barback. Dans cet album magnifiant les petits plaisirs du quotidien, elle est particulièrement à l'aise pour transmettre une nostalgie forte et personnelle du vieux Paris, avec force coups de pinceaux, collages de vieilles cartes postales et de gravures anciennes. Sous sa main, le couple d'amants semble toujours en train de danser, dans des paysages dynamiques, hétéroclites, faisant fi des lois de la perspective, et s'acoquinant avec bonheur aux univers dadaïstes. Les visages sont marqués, sûrement par les petits -ou les gros- tracas qu'ils traversent, leur expression tantôt légèrement mélancolique, tantôt souriante.
Mais le plus important, c'est que l'alchimie opère entre les illustrations et la chanson : Christine Sèvre de sa voix swinguante et franche marque bien le côté populaire de cette histoire d'amour qui ressemble un peu à celle de tout le monde. Sur un rythme entraînant, l'air est ponctué de petits coups de claves enjoués et de notes aux accents légèrement dramatisants grâce au clavecin et aux violons. Cet esprit est savamment repris graphiquement par Aurélia Grandin, grâce au mélange mesuré de matières vivantes -comme ces visages et ces maisons tracés à la peinture fraîche- et de vestiges du passé - les collages de photos, de vieux tickets de bus, les bouts de gravure... La cohérence de l'ensemble en fait un vrai plaisir de découverte, tant musicale que visuelle.
Cependant, il convient de noter que seuls des enfants un peu grands, et déjà sensibles au charme particulier des histoires d'amour, sauront apprécier cet univers. Il faut une certaine maturité visuelle pour saisir les patchworks surréalistes et les clins d'œil apposés ça et là par l'illustratrice. Les adultes en revanche trouveront probablement de quoi nourrir leur appétit pour les iconographies fortes et foisonnantes. Un petit régal intergénérationnel et un pont réussi entre musique et art, en somme.