Les Nouvelles aventures de San-Antonio - Tome 16 - Rencontres d'un très sale type
Livres / Critique - écrit par riffhifi, le 07/04/2008 (Dard fils fait-il un Dard-four en reprenant la saga de papa ? Papas vraiment, mais les aventures du commissaire Sana ont quand même fait leur temps, et manquent cruellement de la verve paternelle.
Lorsqu'il apparaît pour la première fois en 1949 dans Réglez-lui son compte, San-Antonio (quel nom, quand on y pense !) doit bien avoir trente ans, au bas mot. Cinquante-neuf années plus tard, on estime donc l'âge du bonhomme à 89 balais. Ce qui ne l'empêche pas de transformer les trois quarts des donzelles qu'il rencontre en brosses à dents personnelles, sans parler des suites en cas d'affinités. Comment le commissaire reste-t-il aussi vert malgré les années ? Simple : depuis 6 ans, il est passé sous la plume d'un nouvel auteur. Animé durant 51 ans par l'esprit créatif de feu Frédéric Dard dans plus de 200 romans, Saint-Antoine l'est désormais par celui de son fils Patrice. Celui-ci avait coécrit le dernier opus officiel de son père, Céréales Killer, paru en 2001 à titre posthume. Depuis 2002, il tricote les Nouvelles aventures de San-Antonio chez Fayard (du nom d'un chevalier sans feur et sans refroche), tandis que les droits des 200 romans du père restent chez Fleuve Noir.
San-Antonio, au fil du temps, s'est vu progressivement gratifié d'une famille nombreuse et pittoresque, qui a su évoluer de volume en volume. On remarquera tout de même que la garde rend des comptes mais ne meurt pas : le héros, on l'a vu, devrait gratter les 90 ans, et Pinaud devrait nourrir les asticots depuis un bail étant donné sa condition de vieillard dès ses premières apparitions. Sauf que chez San-Antonio, on mûrit mais on ne vieillit pas. En 2008, dans le 16ème tome du fiston (déjà), où en est-on ? Le personnage-titre est toujours commissaire (comme il sert de référent, c'est pas plus mal) malgré quelques détours comme son époque « détective privé », Pinaud est désespérément gâteux (à ce stade, ça fait de la peine, bien que le personnage ait toujours fait délibérément pitié), Bérurier est immuable mais quasiment absent du bouquin (supposément enlevé par les extra-terrestres, il est remplacé par son cousin germain Amédé-Balthazar), Antoine fils est devenu adulte, fiancé à la fille de Mathias (le collègue rouquin de son père, vous suivez ?) et s'apprête à rendre notre héros grand-père (ce qui ne nous rajeunit pas) et la douce Félicie arrière-grand-mère (vous suivez toujours ?), tandis que quelques autres personnages récurrents se contentent de ne pas récurer ici, comme Jérémie Blanc ou Marie-Marie la nièce de Bérurier, épouse de San-Antonio et mère de leur petite Antoinette, qui n'est qu'évoquée. Ouf !
Dans un bon bouquin de San-Antonio, que trouve-t-on ? Une histoire policière, oui, certes. Généralement du niveau de n'importe quel roman de gare un peu chiadé type OSS 117, l'histoire en question n'occupait qu'une place réduite dans le cœur et la machine à écrire de Dard père. Celui-ci préférait consacrer ses efforts à l'écriture proprement dite, transformant d'insignifiantes péripéties en moments de burlesque épique, étirant sur cinq pages de digressions une remarque anodine ou faisant d'une altercation verbale le prétexte à déverser trois pages d'insultes désopilantes et pour la plupart inédites. San-Antonio, c'est avant tout du style. Dans les meilleurs cuvées, on trouvait également du cœur, des sentiments exacerbés et parfois même (!) de réelles idées d'intrigue. Mais Frédéric Dard ne faisait jamais passer le fond avant la forme, c'était sa particularité et ce qui faisait de ses bouquins de savoureuses sucreries. Dard fils, lui, s'échine péniblement à construire une intrigue alambiquée dont le lecteur, par essence, se tamponne complètement, pour faire oublier qu'en terme de style, il n'est pas son père. Il se retrouve alors dans la même impasse que les artisans de la bande dessinée et des films inspirés de San Antonio : on y retrouve les personnages, avec leurs noms et leurs caractères, mais pas l'âme qui les habite. Alors bien sûr, Patrice s'en sort mieux par le roman que les deux médias sus-cités, car il s'efforce d'imiter la verve du daron en épluchant son dictionnaire et en recyclant l'humour contenu dans les 200 tomes du catalogue. Il parvient même régulièrement à faire sourire, voire à créer ses propres métaphores et aphorismes avec malice, adaptés aux temps modernes (« Le dossier défile en ma mémoire comme les cookies de sites pornos sur l'écran de ton ordinateur »). L'intrigue est résolument située de nos jours, avec un président appelé Sarkozy et une intervention naturelle de technologies de pointe. Mais l'ensemble sent tout de même le travail de moine copiste, émaillé de faiblesses inacceptables, comme le simple fait de baser le bouquin sur l'évocation de Rencontres du troisième type, que l'auteur n'a probablement vu qu'une fois il y a trente ans. Comment autrement expliquer qu'il le présente comme le remake d'un film (fictif, certes, on a compris) appelé La guerre des planètes, un titre qui ne présente rien de commun avec le contenu du film de Spielberg ?! L'élément de science-fiction introduit dans cette nouvelle entrée de la série n'a d'ailleurs qu'un intérêt extrêmement limité, sorti d'une couverture vendeuse et d'un bon gag où les personnages eux-mêmes parlent du bouquin dans lequel ils se trouvent.
Combien de temps Patrice essaiera-t-il d'exister dans l'ombre de son père ? A 64 ans, il serait peut-être temps qu'il trouve sa propre inspiration... Ou qu'il ait le courage de tuer San-Antonio pour confier la série à son fils Antoine, ce qui serait l'occasion d'opter pour un style d'écriture nouveau et personnel. En attendant, le lecteur peut toujours retourner vers les vrais San-Antonio : ils sont si nombreux que quand on les a tous lus, on a oublié le premier...