8/10Mystery

/ Critique - écrit par Otis, le 19/05/2006
Notre verdict : 8/10 - Straub fait du polar une célébration du mystère (Fiche technique)

Tags : mystery anglais mystere house avis jeux english

Résumé :

Sur Mill Walk, île imaginaire où règne une société de castes, Tom Pasmore, dix ans et provenant de la petite bourgeoisie, frôle la mort suite à un terrible accident.
Une fois sorti de l'hôpital, il revient l'esprit transformé... Sa passion pour les souvenirs cachés de son île, va le plonger dans une histoire aux nombreux rebondissements où le passé englobe le présent. Un Tom attaché par cette menace de plus en plus pressante : il risque sa vie une seconde fois.

Info : Mill Walk aurait de faux airs de Milwaukee, terre natale de l'auteur.

La critique :

Deuxième livre de la trilogie Blue Rose, Mystery (1990) s'impose logiquement comme l'une des pièces maîtresses de Peter Straub. Ce roman reste aussi captivant que le magistral polar, La Gorge, que l'auteur écrira trois ans plus tard ; polar si magistral qu'il recevra le Prix Bram Stoker pour saluer son sens unique apporté au roman à enquêtes.

La description accordée à cette île imaginaire, Mill Walk, pouvait déjà nous alerter. Straub, jamais conteur hypocrite, nous le souligne dès la première ligne : « Mill Walk ne figure sur aucune carte, reconnaissons-le tout de suite. » L'île réveillant en nous tout un éventail utopique, voire chimérique, ce premier lieu, tantôt accueillant, tantôt étouffant, absorbe déjà l'atmosphère d'une histoire qui se réduit pas à pas et avec plaisir vers un final renversant, presque inattendu. Malin, Straub brouille les pistes en nous servant une intrigue digne des grands polars classiques. Le jeu sournois du chat à la souris, en somme. Or, ici, tout est calculé. Absolument tout.

Si nous devions rendre une référence personnelle à l'auteur, nous pourrions avancer - avec précaution, cependant - que Tom Pasmore est le Peter enfant découpant, collectionnant des faits divers dans les journaux, et que le Spectre, Lamont von Heilitz, ce personnage qui regarde sans cesse derrière sa fenêtre la maison de Tom et qui, fidèle à son surnom, ne sort jamais de chez lui, est quelque part le Peter adulte, l'écrivain. Le passé de ce fameux Spectre est un premier indice pour comprendre la pierre angulaire du récit. Société de castes, l'île abrite des habitants aux destins trop blancs pour qu'ils soient véritables. Bien entendu, page après page, Straub colore les révélations avec une plume toujours soignée, en se focalisant sur Tom Pasmore, ce gamin au père trop distant et à la mère trop souvent blottie dans son lit à pleurer nuit et jour. Son adolescence est triste, morne, parce qu'elle n'existe pas. A 15 ans, Tom nous est présenté comme un adulte.

Le suspense est là, calculé mais impalpable ; il rôde en deçà des 728 pages, insidieux personnage dont le masque sera exposé à son tour. Même l'île possède de multiples lieux où se dessine un fossé, dissimulant des visages, des secrets, de plus en plus terrifiants. Tom Pasmore, ce petit qui veut en savoir trop, certain que son accident n'est pas le fruit du hasard, se sent envahi d'une mission presque existentielle. L'enquête s'établit dans des lieux froids, menaçants : un hôpital, une école, une maison décrépite, une villa, une plage, un quartier trop gris, un entrepôt, sans oublier Eagle Lake, cette station balnéaire qui accueille l'aristocratie de Mill Walk aux bords d'un lac, sur le continent des Etats-Unis. En filigrane, le réalisme finit par l'emporter. Teinté par un suspense subtil qui joue avec les nerfs du lecteur, les personnages ressortent tous du tableau, enluminés grâce à une narration méthodiquement écrite : extraits de journaux, flash-backs jamais excessifs, écritures italiques complexes, et meurtres bien sûr.

Le tueur est partout. Tout semble cohérent et l'ambiance du Chinatown de Roman Polanski pourrait le mieux se rapprocher du livre. Par moments et c'est là toute l'originalité du polar straubien, le récit bascule dans le fantastique. Lorsque le surnaturel apparaît, le réalisme englobe le ton. Dans Mystery, des fantômes ne le sont pas vraiment. Le lecteur sombre alors dans le gouffre du doute édifiant ! Expliquant le surnaturel, Straub retourne le Polar, en véritable héritier de Poe, instigateur du Polar moderne, et y insuffle un climat d'étrangeté sans précédent. Les cauchemars de Tom, sa nature lunatique, son passé, son comportement, font de lui un personnage pilier, ambigu, à classer sans vergogne dans l'histoire du genre. Là, le vrai enquêteur, et nous finissons par le comprendre à nos dépens : c'est le lecteur. L'intensité augmente... La psychologie s'accompagne et danse avec cette histoire étrange, aux dialogues percutants menés en toute sobriété jusqu'à un final où le thème principal du roman, l'obsession de la mort, est à son apogée ! Oui, sans conteste, avec Mystery, l'écrivain reste fidèle à son propre talent.