Les musiciens de la Nouvelle Brême
Livres / Critique - écrit par hiddenplace, le 11/11/2010 (Pour les amoureux des contes traditionnels qui n'ont pas peur qu'on les revisite et les assaisonne, Les musiciens de la Nouvelle Brême est un album particulièrement savoureux.
Pour ceux qui sont familiers des contes traditionnels, le titre vous dira bien quelque chose... à un petit détail près : le mot « nouvelle ». A la base, Les musiciens de Brême est un classique des Frères Grimm, dans lequel quatre animaux (un âne, un chien, un chat et un coq) à l'origine abandonnés, maltraités ou menacés par leur maître, se rencontrent et se liguent pour rejoindre l'orchestre municipal de la ville de Brême. Alors qu'un soir sur leur chemin, ils découvrent une maison habitée par des voleurs, ils rusent ensemble et décident de réunir leurs compétences respectives pour investir la demeure. Voilà pour la version originale. Mais avec son petit mot en plus, Les musiciens de la Nouvelle Brême propose sur une trame très semblable une nouvelle petite communauté : Franky le caribou, Max le castor, Dexter le raton-laveur et Charlie le grizzli. Ce n'est plus une maison de voleurs qu'ils vont chercher à assiéger, mais celle de braconniers, donnant à leur entreprise un petit goût de revanche personnelle.
Illustration de Cécile Hudrisier
issue de Les musiciens de la Nouvelle Brême
texte de Pierre Delye, Editions Didier Jeunesse, 2010Avec des tournures délicatement mâtinées d'humour et d'une
certaine tendresse, un ton plus actuel et des situations plus ancrées dans
notre époque, Pierre Delye reprend donc l'idée originale de cette histoire
classique, et met en scène des animaux plus atypiques. Destiné à de jeunes
lecteurs ayant déjà acquis un vocabulaire riche et nuancé, l'album infuse
quelques petits jeux de mots bien sentis dans des phrases en apparence
anodines, aussi sûrement que l'auteur joue avec les particularités de chaque
bestiole pour leur assigner un talent musical qui agrémentera l'orchestre
final. Tous sont pourtant initialement appelés à remplir une tâche toute
programmée (manger, dormir ; couper des troncs ; laver ;
travailler et hiberner...). Mais en quittant leurs semblables, sur les chemins
qu'ils empruntent et qui finissent par se croiser, ils donnent enfin libre
court à leurs envies dodelinantes, font
vibrer leur glotte sur des airs entraînants, soufflent leur ivresse dans un
vent de folie, et pincent les cordes qui retiennent leurs rêves les plus fous.
Ainsi est mise en avant l'idée de persévérer pour assouvir ses passions et les
vivre jusqu'au bout, même si celles-ci ne correspondent pas au moule que la
société peut renvoyer. Le texte est souvent ponctué de grisantes onomatopées,
rappelant directement le bastringue qui rythme l'aventure, le tout dans une
typographie manuscrite, douce et déstructurée qui contraste avec le reste de la
narration, plus posée, plus conventionnelle. Chaque personnage est présenté sur
une saison différente, et bien que chaque portrait soit brossé sur une
construction semblable, c'est en quelque sorte la saison et les particularités
de l'espèce animale qui le distingue et prédispose à sa spécialité musicale.
Le sentiment qui se dégage, en parallèle de l'excitation harmonieuse, est celui
de l'alchimie du groupe qui permet de surmonter les peurs et de vaincre ceux
qui en principe ont le pouvoir sur les plus faibles.
Illustration de Cécile Hudrisier
issue de Les musiciens de la Nouvelle Brême
texte de Pierre Delye, Editions Didier Jeunesse, 2010L'univers méticuleusement choisi et dépeint dans les mots
décalés de Pierre Delye trouve dans l'illustration de Cécile Hudrisier (Bonne
nuit petit Kaki ! et Rira bien qui rira le dernier) une
résonance tout aussi truculente et finement travaillée. L'illustratrice bâtit
chaque scène à grand renfort de techniques mixtes, elle utilise chaque médium
avec dextérité et en donnant un véritable sens à la cohabitation du collage de
photos et de matières avec un dessin très graphique, mêlé d'une texturation parfois
réaliste, parfois stylisée. Le choix des papiers découpés et soigneusement
associés est par exemple particulièrement juste dans la représentation de la
forêt à chaque saison, les tons doux et boisés restant un arrière-plan discret
alors qu'ils sont pourtant très étudiés. Comme l'auteur l'avait fait dans ses
textes en glissant de petits calembours pour lecteurs avisés, l'illustratrice
cache dans ses doubles-pages des clins d'œil et anecdotes qui
éveilleront un sourire chez les plus attentifs. On décèlera notamment
l'intégration des photos d'albums de musiciens qui inspirent chaque animal dans
la révélation de sa carrière musicale (respectivement Frank Sinatra, Clifford
Brown et Max Roach, Charlie Parker, et enfin Charles Mingus). Images qui font écho
aux refrains que l'on retrouve ni vu ni connu dans le texte, sous une forme
traduite et adaptée par nos chers mélomanes. Pour achever de conférer à ce
livre, pourtant dénué d'accompagnement musical, une atmosphère tumultueuse et
retentissante, Cécile Hudrisier propose en complément de compositions
dynamiques une double page agrémentée entièrement de vignettes et d'onomatopée,
à l'image de la BD. On pense un peu aussi au dessin animé et à Tex Avery, tant
le mouvement et l'expressivité des petits personnages sont palpables sur papier
glacé. Tous ces éléments rendent l'ensemble foisonnant, attachant et souvent
assez drôle.
Pour les amoureux des contes traditionnels qui n'ont pas peur qu'on les revisite et les assaisonne, Les musiciens de la Nouvelle Brême est un album particulièrement savoureux. L'association du verbe référencé, musical et pourtant accessible de Pierre Delye à la verve graphique et délurée de Cécile Hudrisier est une entreprise efficace et poétique, qui plaira à mon avis autant aux petits qu'aux plus âgés. Un livre à dévorer tambour battant, et dont l'acquisition permet de surcroît de soutenir l'association « Lire et faire lire » (comme c'était le cas des Deniers de compère Lapin).