La Maison aux esprits
Livres / Critique - écrit par Kassad, le 12/07/2004 (
Allende, ce nom doit vous dire quelque chose n'est-ce pas ? Il s'agit du nom du président renversé par la junte militaire au Chili, celle menée par le tristement célèbre Pinochet, dans les années 70. C'est aussi le nom d'une grande romancière : Isabel Allende. Le lien entre les deux ne se résume pas à une simple homonymie. Il n'est pas non plus sans importance quand on s'apprête à critiquer un roman comme La maison aux esprits. Véritable phénomène éditorial des années 80, traduit dans une vingtaine de langues, adapté à l'écran par Bille August au début des années 90, ce roman est déjà un classique. *
Dans un pays d'Amérique latine jamais précisé (mais si vous ne comprenez pas que c'est le Chili je ne peux rien pour vous) La maison aux esprits nous entraîne sur trois générations à travers les tribulations de la famille Trueba. Commençant aux débuts du XXème siècle, elle s'achève dans les années soixante-dix. Un seul personnage traverse ce roman, il s'agit du patriarche Esteban qui parti de rien, à la force de son implacable volonté établit un empire. Sa femme Clara quant à elle possède des dons de spirites et ne semble pas très touchée par ce qui se passe ici-bas. D'un mode de vie séculaire qui devait être le même quelques siècles auparavant, Esteban, sa famille et son pays tomberont dans le pire du XXème siècle : le totalitarisme, la dictature.
Il est impossible de résumer plus avant ce roman. Une saga ne se réduit pas si aisément. D'ailleurs c'est surtout pour l'ambiance et la peinture des personnages que ce roman vaut d'être lu. Il ne contient pas à proprement de tension dramatique (une énigme à résoudre ou une solution à trouver). Il est comme le temps qui passe quand assit dans un jardin on voit défiler les nuages en rêvant les yeux ouverts. D'ailleurs au début du récit on a du mal à rentrer dans un univers aussi riche. Je dois dire que la première centaine de page n'est pas facile d'accès. Le style de l'auteur n'y est pas étranger non plus. Un peu comme Balzac, Isabel Allende se complait dans d'interminables descriptions. Un autre caractère de son écriture est la répétition d'adjectifs et de qualificatifs portants sur tel ou tel aspect des personnages. A la longue c'est fatiguant, et à ma grande honte je dois dire que dans de nombreux passages j'ai allégrement sauté des passages ayant compris ce que l'auteur voulait faire passer comme idée.
Un autre point particulier de ce roman est l'écoulement si particulier du temps. Tout commence lentement, un peu au rythme de la campagne du siècle dernier. Cette lenteur à elle aussi quelque chose d'exaspérant. Il ne se passe pas grand chose, mais d'un autre côté cette douce mise en place est peut être nécessaire pour la dramatisation finale. Finalement on finit par s'attacher aux différents membres de la famille et à ressentir ses tribulations au plus profond. La violence de la fin n'en est que plus brutale. Et le changement, de rythme tout d'abord (on passe d'un roman descriptif à un roman d'action) mais de style aussi (d'un roman léger on est transporté au coeur de l'horreur totalitaire) est aussi étonnant que réussi. Pourtant, et c'est là le point qui m'a le plus intéressé dans ce livre (il mérite pour lui seul la lecture), on voit doucement se mettrent en place les différents éléments du drame. La description de cette société qui petit à petit se coupe en deux parties qui finiront inévitablement par se faire la guerre est excellemment menée. Que ce soit par des anecdotes anodines ou bien des descriptions des évolutions politiques générales on voit graduellement la division s'installer au coeur même d'un pays qui paraissait paisible et sans histoires. Je pense que cette oeuvre aurait gagné à être plus courte pour être plus nerveuse, mais qui sait peut être que l'émotion ne m'aurait pas pris à la gorge comme elle l'a fait. Mystère de l'écriture dont je vous laisse juge...