8.5/10Mon jardin

/ Critique - écrit par hiddenplace, le 24/09/2009
Notre verdict : 8.5/10 - Ode to my (Nature) family (Fiche technique)

Tags : jardin details maison prix plantes stock accessoires

Lorsque le sentiment qui se dégage est authentique, que l'alliance parfaite du texte et de l'illustration touche son but, on serait bien en peine de reprocher à Mon jardin ce ton légèrement passéiste dans l'air du temps, pour le féliciter plutôt du délicieux dépaysement qu'il nous procure. 

Les albums publiés chez les Editions du Rouergue sont souvent davantage des œuvres d'ambiance, d'émotions, de suggestions, que des histoires avec début, fin, sujets, objets, adjuvants et opposants. C'est ici le cas pour ce recueil tout en nuances et en collections d'icônes, teinté de nostalgie, voire d'un soupçon de mélancolie. Il y est question d'un mystérieux narrateur, qui relate à la première personne un voyage au cœur de son jardin d'enfance. A ceci près que s'il semble le seul être humain vraiment présent (à l'exception des petits personnages qu'il s'avère rêver, et de souvenirs des êtres de passage dans cet éden extraordinaire), un second personnage apparaît distinctement, éponyme qui plus est : le jardin lui-même. Siège d'aventures à la fois ordinaires et rocambolesques, berceau de plaisirs presque imperceptibles pour les grandes personnes, lieu de vie mais aussi cimetière d'une armée de personnages et d'animaux intrépides, cette terre pourtant commune renferme les secrets d'un paradis... peut-être perdu. Tant d'années après, ce garçon devenu « grand » a-t-il encore les yeux pour le voir ?

Contrairement à certains livres illustrés où le poids des mots surplombe celui des illustrations, ou inversement, l'alliance qui se joue ici semble parfaitement équilibrée : le soin porté aux uns nourrit et rehausse la finesse des autres. Sur un texte poétique, presque uniquement en vers, écrit par Zidrou, l'univers luxuriant de ce petit jardin et les souvenirs qui l'accompagnent sont esquissés à travers métaphores et arabesques lexicales. En parallèle, en filigrane même, pourrait-on dire, on (re)découvre l'univers raffiné de l'illustratrice Marjorie Pourchet, dont chaque page recèle une multitude d'anecdotes fines et personnelles. En observant soigneusement ses planches, on se souvient d'un autre album publié chez le même éditeur, magnifique conte métaphorique qu'elle avait écrit et illustré elle-même, La tête dans le sac.

Illustration de Marjorie Pourchet
Illustration de Marjorie Pourchet
issue de Mon jardin, texte de Zidrou
Le Rouergue, 2009
Traitant d'un thème qu'on qualifierait presque injustement d' « à la mode », et cependant inépuisable, Mon jardin célèbre les beautés des microcosmes qui peuplent ce lieu du quotidien (nécropole providentielle de l'enfance), les aventures et les souvenirs très affectifs qu'il génère. La décidément très imposante mais néanmoins incontournable Amélie Poulain n'est pas loin, elle partage même avec notre petit narrateur le goût pour les anecdotes en apparence insignifiantes, et surtout cette fameuse boîte à trésors que l'on retrouve après une éternité. Autres endroits my(s)thiques et insoupçonnés de la maison : les souvenirs s'étaient aussi entassés dans les Tiroirs secrets d'Olivier Thiébaut et Xabi M. Mais Mon jardin aborde la mémoire des petites choses de manière plus personnelle, plus solitaire, et résonne même parfois comme un journal intime. Les mots que Zidrou offre à son narrateur décrivent son jardin par bribes, phrases poétiques, laconiques et parfaitement imagées, presque aussi fortes et violentes que des flash backs, et tout autant éphémères. Notre protagoniste ne cache pas ses regrets : le ton mélancolique pressenti à chaque ligne, bien qu'enjoué, immerge vite le lecteur dans des réminiscences qui ne sont pas les siennes, mais lui rappellent invariablement des épisodes semblables. C'est aussi une ode à la nature qui s'écrit et se dessine, un hommage à sa force et sa prédominance sur l'homme et ses créations, qui se traduit par l'invasion discrète et espiègle des éléments végétaux jusque dans la maison (et la tête ?) du personnage.

De son côté, mariant une peinture traditionnelle et délicatement travaillée à une ligne graphique et ciselée, Marjorie Pourchet offre à cette expérience très sensible un aspect onirique presque surréaliste. C'est un mélange de gouache, de matière, de motifs gravés ou monotypés, de textures (parfois fines, parfois feutrées) pour les décors, et de détails et trames ébauchés à la plume sous de multiples traits, qui se présente à notre regard. Chaque page ou double page est composée avec soin, raconte une histoire presque indépendante à elle seule, et les nombreux éléments narratifs y cohabitent en interagissant, parfois même dans une sorte de combat épique mais toujours ludique. L'illustratrice esquisse des visages lunaires et parfois soucieux, qui contrastent avec une atmosphère colorée vivante, flamboyante par ses teintes rouges, sépias et orangées. Des tonalités automnales qui ne sont pas sans rappeler la nostalgie qui règne, et l'imagerie jaunie des gravures anciennes ou des vieilles photographies.

Imagé et poétique, voilà un album qui plaira certainement autant aux grands qu'aux petits. Pour les grands, il sera l'occasion de retrouver ou collecter ses propres lieux ou objets de mémoire. Lus par de jeunes enfants, il sera sans doute une belle source d'inspiration pour les expéditions dans le jardin. Malgré un propos qui paraîtra à certains peu original, de par son imagerie volontairement désuète et son éloge des menus plaisirs ordinaires qui relient au souvenir, Mon jardin s'avère être un recueil délicat, sensible et presque gratuit. Et lorsque le sentiment qui se dégage est authentique, que l'alliance parfaite du texte et de l'illustration touche son but, on serait bien en peine de lui reprocher ce ton légèrement passéiste  et dans l'air du temps, pour le féliciter plutôt du délicieux dépaysement qu'il nous procure.