7/10Itinéraire d'un salaud ordinaire

/ Critique - écrit par Kei, le 08/02/2008
Notre verdict : 7/10 - L'ordinaire d'un salaud itinérant (Fiche technique)

Tags : daeninckx didier duprest livres litterature ordinaire salaud

Bien que provocateur dans l'idée, ce roman est à la fois instructif et révélateur. Une très bonne relecture de l'histoire de france entre 1940 et 1980.

La manière avec laquelle les livres retiennent notre attention est une chose mystérieuse. Mais un roman intitulé Itinéraire d'un salaud ordinaire ne laisse pas indifférent. Et c'est plein de curiosité que le lecteur choisira ce volume-ci dans la masse des livres qui lui sont proposés. Et il fera bien. Car ce roman, s'il ne tient pas tout à fait toutes les promesses de la quatrième de couverture, est à la fois une leçon d'histoire française et un témoignage d'une époque peu reluisante.

Une leçon d'histoire tout d'abord, parce qu'à travers la vie de Clément Duprest, entré à la police nationale en 1942 et où il fera carrière jusqu'en 1981, ce sont tous les événements majeurs de l'occupation, de la collaboration, de la libération, de l'après guerre, de la quatrième et de la cinquième république qui sont passés en revue. Des évènements dont la seule connaissance se résumait jusqu'alors pour moi à des leçons d'histoire péniblement apprises au lycée, des romans, des films et des mots qui reviennent très souvent dans la bouche de beaucoup d'hommes publics. Une fois racontés et non pas expliqués, les évènements prennent une autre consistance. La quatrième république a été marquée par une grande instabilité politique m'a-t-on appris. Ce que l'on ne m'a pas dit, c'est qu'à chaque changement de gouvernement, on faisait tomber des têtes dans les diverses administrations, pour pouvoir « travailler sur une base saine ». Un exemple parmi tant d'autres.

Un témoignage d'une époque peu reluisante ensuite, car loin de nous présenter un brave homme, généreux et ouvert d'esprit, Didier Daeninckx nous présente un salaud, une raclure, un déchet. Autant d'adjectifs bien faciles à coller sur le dos d'un tel personnage, alors qu'en vérité celui-ci n'est pas bien pire que la majorité de ses concitoyens. Entré dans la police pour gravir les échelons d'un commissariat de quartier, il se retrouve affecté aux renseignements généraux, et plus particulièrement à la brigade des propos alarmistes. Alors oui, cet homme à participé activement à la collaboration du gouvernement Pétain. Oui, il a contribué à la torture, la mort et la déportation de centaines de personnes. Oui, il est un salaud. Mais suivant nos critères d'aujourd'hui. Car plus que le personnage, ce qui étonne en lisant ce livre, c'est le peu de résistance qu'il rencontre de la part des gens qu'il fréquente. Car ses motivations sont partagées par une partie de la population, même si ses méthodes, elles, sont moins approuvées. Le nazisme et l'occupation ne trouvent pas grâce à ses yeux, mais certaines conséquences, comme « l'épuration » de la population sont elles très appréciées, de lui comme de nombre de ses concitoyens.

Et c'est là un des objectifs de l'auteur. Nous amener à revoir notre manière de penser les choses, de reconsidérer une opinion toute faite sur la collaboration et d'une manière générale le climat politique de l'époque. En nous mettant dans la peau de Duprest, en utilisant ses mots et non pas les nôtres, il veut créer un sentiment de malaise lorsque l'on s'aperçoit que pris dans le récit, certaines thèses ne nous font plus bondir. L'exercice est délectable, mais malheureusement parfois un peu trop forcé. Certaines phrases donnent trop dans le pathos, contrastant très fortement avec l'esprit du personnage principal. C'est au cours du récit, au détour d'une phrase anodine que l'on découvre cette haine féroce que Duprest voue aux juifs, communistes, gauchistes et révolutionnaires de tous bords, mettant tous ces gens dans une même catégorie : la lie de la France. Une haine viscérale, sans aucune raison, et qui ne disparaitra jamais. Duprest est un personnage porté par la force de ses convictions qui ne se remet pas en question. Ses concessions ne sont que de la poudre aux yeux, des investissements pour le futur. Un personnage détestable, mais sans doute pas si différent d'une bonne partie de la population de l'époque. De Funès lui même avouait après le tournage de Rabbi Jacob que son antisémitisme latent avait été plus qu'égratigné par la découverte de cette autre culture, en 1973.

C'est en partie dans ces passages que réside la grande force de ce livre. Montrer sans jamais le faire explicitement que rien n'a été ni tout noir ni tout blanc. Que si la résistance a été possible, c'est aussi grâce à l'opportunisme de certains salauds ordinaire, et qu'il est bien facile de juger aujourd'hui sans jamais se poser de question.

Ce roman éclaire sous un jour nouveau aussi bien la guerre que mai 68, aussi bien la décolonisation que l'éviction des communistes des postes clefs, en nous racontant simplement les choses d'une manière très politiquement incorrecte, voir taboue, car on pourrait considérer le simple fait de ne pas condamner ouvertement les actes du héros comme un consentement. Il n'en est rien. Et si la lecture de ce roman n'est pas la plus divertissante qui soit, elle est en revanche très intéressante.