Interview de Lucie Chenu

/ Interview - écrit par Sylvain, le 06/05/2011

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Lucie Chenu a d'abord été connue dans le milieu littéraire SF/fantastique français pour son activité d'anthologiste et d'éditrice. Mais depuis peu, elle se consacre également à ses propres écrits, comme le recueil de nouvelles "Les Enfants de Svetambre" dont la chronique est à venir très prochainement dans les colonnes de Krinein. Mais laissons la tout nous dire...

  • Mais au fait, qui êtes-vous vraiment  ?

Vraiment ? Je suis un être humain. Voilà, c'est dit, je l'ai avoué. Je suis un être humain égaré dans des contrées d'elfes et de super-héros. Comme Clark Kent, je porte des lunettes, mais contrairement à lui, je ne peux pas m'en passer.

À part ça, je suis une maman (et c'est une sacrée expérience  !) qui a fait des études de génétique, tout en regrettant d'avoir dû abandonner les maths, la chimie, l'histoire et les lettres. Et j'en passe. Alors je compense en écrivant de la SF, du fantastique et de la fantasy. C'est assez logique, non ?

  • Quelle est votre dernière œuvre  ?

Tout dépend de ce que recouvre le mot « œuvre »  : nouvelle, anthologie, dossier, direction littéraire ? (J'ai un gros problème avec les étiquettes.) Et aussi par « dernière », d'ailleurs. La dernière publication, ou le dernier texte écrit ?

Ma dernière anthologie parue est Contes de Villes et de Fusées (Ad Astra) : j'ai demandé aux auteurs de s'emparer d'un conte de fées (ou de plusieurs) et de le transposer à notre époque ou dans l'avenir. Le résultat est étonnant. Grave ou loufoque, trash ou tendre. Décalé, en tout cas.

La dernière nouvelle que j'ai écrite est une histoire de fantômes, à paraître en mai 2012, dans le second volume d'une anthologie de ghost stories aux éditions Asgard. Asgard vient d'ailleurs de publier ma dernière nouvelle parue, « My Generation », dans Éternelle Jeunesse.

Mon dernier livre-écrit-par-moi-toute-seule-ou-presque, qui est aussi le premier, Les Enfants de Svetambre, est paru chez Rivière Blanche (Black Coat Press). C'est un recueil de nouvelles, des longues, des ultra-courtes, des rigolotes, des tristes... Et trois des vingt-six textes sont co-écrits avec d'autres auteurs.

Le dernier dossier que j'ai réalisé paraît ces jours-ci dans Géante Rouge ; il est consacré à Jeanne-A Debats, un auteur à lire absolument. Quant au dernier roman que j'ai dirigé, il s'agit de Llorona on the rocks, de Charlotte Bousquet, autre auteur à lire absolument, aux éditions Argemmios.

Mais le dernier « truc » que j'ai lancé est un blog collectif consacré à la liberté, à l'égalité et à la fraternité : C(h)oeurs de Citoyens.

  • Est ce que la gestation a été difficile ?

C'est amusant que vous me parliez de « gestation », parce que j'ai longtemps été obsédée par la relation entre la création et l'enfantement, au point d'y consacrer ma première anthologie, (Pro)Créations (Glyphe).

Travailler avec des auteurs que j'admire est toujours un grand plaisir, ça vaut pour le dossier consacré à Jeanne-A Debats comme pour le roman de Charlotte Bousquet. Ça vaut aussi pour mes anthos, à ceci près que je me mets une pression supplémentaire. La gestation de Contes de Villes et de Fusées n'a pas été difficile en soi, mais d'une part je l'ai « portée » (je peux dire ça, puisqu'on parle de gestation, non ?) en même temps qu'Identités (Glyphe) qui était très intense dans les thèmes abordés (les identités meurtries, identités meurtrières), de l'autre elle s'est compliquée d'aléas éditoriaux ce qui fait que nous avons dû, l'éditeur et moi, travailler comme des bêtes pour qu'elle paraisse dans les délais annoncés.

Mes dernières nouvelles... oui, en effet, leur gestation a été difficile. Pour des raisons similaires, bien qu'elles soient très différentes l'une de l'autre. Parce que, pour les écrire, pour transmettre ce que je ressentais, il me fallait me mettre dans un état émotionnel dont, en réalité, je faisais tout pour me protéger. Pour « My Generation », il m'a fallu accepter cette part de moi qui refuse de vieillir. Pour la ghost story, j'ai dû ouvrir mon cœur à ma peur de la mort... Une autre de mes nouvelles, à paraître chez Hydromel dans une anthologie sur le thème de la Guerre, avait aussi été très difficile à « expulser ». C'est étrange, parce qu'il peut m'arriver d'écrire des textes tout aussi sombres, voire plus, sans que j'éprouve cette difficulté. Au contraire, même, il en est qui sortent presque malgré moi. Ça dépend vraiment de ce que je ressens, de mes émotions. La colère me fait écrire avec aisance. Sans doute parce qu'elle vient sans que je l'ai conviée.

Heureusement, d'autres émotions me nourrissent et nourrissent mon écriture, et d'autres textes coulent tout seuls, comme « Chœur de Dragons » (dans Les Enfants de Svetambre), qui est une nouvelle pour laquelle j'ai une tendresse particulière et que j'ai écrite en état d'extase, c'était sensationnel !

Et puis, dans un tout autre registre, il y a l'érotisme : « (R)EVE » (dans Chasseurs de Fantasmes, chez Griffe d'Encre) a, sans conteste, été une nouvelle très... jouissive à écrire.

  • Dans quelle ambiance et dans quel lieu faut-il vous lire ? Avec quelle musique ?

Il ne faut rien, quelle idée ! (D'ailleurs, j'aime beaucoup la réponse de Jean-Pierre Andrevon sur le sujet.) Ceci dit, comme certaines de mes nouvelles ont été écrites sous influence musicale revendiquée, ça peut être un plus que de les lire en écoutant les morceaux qui les ont inspirées. C'est le cas de « Deliciae Meae », dans Flammagories, hommage à Nicholas Lens. Lens est un compositeur génial et malheureusement presque inconnu en France (il est belge). Nous (les quatorze auteurs du collectif) nous sommes, à l'instigation de Vincent Corlaix et Olivier Gechter, partagé les quatorze morceaux de Flamma, Flamma, le requiem du feu, et nous avons écrit, en écoutant le nôtre en boucle. Notre seule autre contrainte était de garder le titre (en latin) et de glisser dans notre nouvelle une phrase du livret (qu'on pouvait traduire en français). C'était une expérience extraordinaire ! Et je crois que ce livre-là, au moins, gagne à être lu en musique.

Mais si la question portait sur mes goûts musicaux, ils sont très éclectiques. Pour preuve mes deux autres « nouvelles musicales ». « My Generation » doit beaucoup au morceau éponyme des Who, bien sûr, mais aussi à leur opéra-rock Tommy, au yéyé, à « C'est extra » de Léo Ferré et aux Moddy Blues, au festival de Woodstock et à West Side Story. Au point que j'ai écrit une sorte de postface à la nouvelle pour expliquer sa disco-filmo-graphie à ceux qui ne sont pas de ma génération ;-)

Et « Chœur de Dragons » m'a été inspirée par un morceau sans titre (mais que ma fille, très jeune à l'époque, avait baptisé « le dragon chanteur ») qu'Éric Roger (alias Gaë Bolg) avait composé d'après une peinture de Jean-Marc Dauvergne pour Ombres et Lumières (Divine Comedy).

Ah tiens, je n'ai pas répondu sur le lieu. Au choix du lecteur, là où il se sent bien, là où il le veut, au lit, aux WC, je m'en fiche. Et s'il le souhaite, il pourra ensuite visiter les endroits que je décris – les grottes, la mer, la montagne sont très présentes dans mes textes –, du moins ceux qui sont situés sur la planète Terre.

  • Un livre de quelqu'un d'autre qui vous a plu ? Pourquoi ?

Carnaval sans roi, de Francis Berthelot, toujours aussi ensorcelant ; il joue d'une façon délicieuse avec les mots et avec les situations complexes dans lesquelles il flanque ses personnages. Les deux volumes des Contes Myalgiques, de Nathalie Dau, deux recueils de nouvelles aux thèmes poignants, à l'écriture sublime, avec une violence et une douceur entremêlées... Le Chœur des femmes, de Martin Winckler, qui se dévore et se déguste à la fois, d'une grande sensibilité, très original. Présumé Coupable, d'Isabelle Guso, qui traite d'un sujet tabou avec pudeur et talent. Plaguers, de Jeanne-A Debats, qui est passionnant et dont le final est époustouflant. Et puis, bien sûr : Indignez-vous, de Stéphane Hessel. Parce que oui, il a sacrément raison ! Il faut s'indigner. S'indigner, c'est ne pas se résigner, et se résigner, c'est se laisser mourir à petit feu.

Ah, on avait dit « un » ? Je l'ai dit, j'ai arrêté les maths, je ne sais plus compter ;-) Je me suis retenue, tout de même ; je n'ai cité aucun des romans que je me suis régalée à publier chez Glyphe ou pour Argemmios.

  • Une chose qui vous énerve ?

Une seule ? Là encore, ça va être dur !

La paperasse administrative de plus en plus envahissante et absurde.

La méchanceté. Ceux qui piétinent autrui sans scrupules. Qui ne font montre d'aucune compassion. Pas ceux qui se protègent parce qu'ils ont leurs propres soucis, non. Ceux-là je les comprends tout à fait, et les envie parfois d'être capable de se couper du malheur des autres. Ceux qui m'énervent vraiment, ce sont ceux qui se plaisent à attiser les douleurs, à remuer les couteaux dans les plaies. Ceux qui soufflent sur les braises du racisme et de l'intolérance, par jeu ou parce que ça va servir leurs intérêts. Pour ceux-là, j'éprouve un profond mépris. M'énervent aussi ceux qui prennent leur point de vue égocentré pour la seule et unique vérité. Ceux qui abusent de leur situation pour exercer un pouvoir : les médecins qui ont oublié que leur but était de soigner, les élus qui ont oublié qu'ils étaient au service du peuple et pas l'inverse, etc.

Et ce qui me met énormément en colère, c'est le démantèlement de tout système de solidarité (même entre personnes privées, il devient interdit de s'entraider), de l'égalité (les riches de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres, les étrangers de plus en plus cruellement traités sauf si leur portefeuille est bourré de pétrodollars, etc.) et de la liberté (obligation faite aux maires des communes de dénoncer quiconque vivrait dans un camion, une roulotte ou une yourte... qu'il s'agisse du choix de vie de quelqu'un qui décide de son habitat ou de l'unique possibilité d'un SDF, c'est du pareil au même, et c'est dans LOPPSI 2).

Je vais rester calme : je ne parlerai pas du nucléaire.

Lisez Stéphane Hessel :-)

  • Une chose à rajouter ?

Merci de vous intéresser à ma petite personne et à mon « œuvre » ^^ Allez faire un tour sur C(h)oeurs de Citoyens.

Je remercie chaleureusement Lucie Chenu pour ses réponses détaillées.