Interview de Jean-Pierre Andrevon

/ Critique - écrit par Sylvain, le 13/04/2011

Tags : fiction andrevon science pierre jean monde livre


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Jean-Pierre Andrevon est une référence de la science-fiction française. Ecrivain prolixe (plus d'une centaine d'ouvrages), dessinateur, journaliste, Jean-Pierre Andrevon semble avoir plusieurs cordes à son arc. Il est pour moi l'un des premiers contacts que j'ai pu avoir avec le monde de la SF puisqu'il a été l'un des piliers de la défunte revue Fiction.

Il a accepté de répondre à nos petites questions. Je le remercie pour cela, d'autant plus que ses réponses sont particulièrement fournies. Merci !

Et maintenant, let the show begin...

  • Mais au fait, qui êtes-vous vraiment ?

J’aime à dire que j’arpente la vie pieds dans la glèbe et yeux aux étoiles. Ce qui ne mange pas de brioche, n’est-ce pas ? Plus sérieusement, je pourrais prétendre que mon imaginaire est toujours profondément enraciné dans le réel, suscité par lui. Et que cet imaginaire m‘aide à supporter ce réel. Quant à se le coltiner au jour le jour… « Pourquoi êtes-vous si pessimiste ? » me demande-t-on souvent. Ce à quoi je réponds : « Je ne suis pas pessimiste, je suis lucide. » Avec en pointe, en ligne de mire ces jours-ci, Fukushima (mais tant d’autres maléfices et injustices, qu’on n’oublie pas). Alors non, je ne vais pas, en ancien de LA GUEULE OUVERTE. entonner le couplet « on vous l’avait bien dit. » Avoir raison, on s’en passerait bien quand la raison est une telle déraison. Ce qui ne veut pas dire baisser les bras. Mais tout au contraire s’indigner avec Stéphane Hessel et, mieux encore, se révolter avec Albert Camus. Tout en ayant ce permanent mal au monde hurlé par Jacques Brel. Autant avoir de bons parrains, pas vrai ? Ce qui n’empêche pas la juste mesure de sa minuscule place dans le monde. Tu gueules, Andrevon, tu n’arrêtes pas de gueuler… Mais où tu es ? Le cul sur ta chaise, les pieds dans tes savates trouées, scotché à ton ordinateur. Vous voulez savoir ? J’assume, sans une once de culpabilité.

  • Quelle est votre dernière œuvre ?

Paru (en 2010), LA MAISON QUI GLISSAIT (éd. du Bélial’). Epais roman qui analyse le comportement des habitants d’une tour HLM brusquement isolée de son environnement par une impénétrable barrière de brume d’où peuvent surgir… mais je n’en dis pas plus. Ce texte m’a été inspiré par une nouvelle assez ancienne de Stephen King, THE MIST. Et surprise, en lisant son dernier et bien plus épais encore roman, DÔME, je retrouve trait pour trait la substance et même la construction de mon récit. Comme quoi le fantastique et la SF sont bien des littératures collectives. A paraître, bientôt, le premier volume (il y en aura 6 en tout) d’une encyclopédie du cinéma fantastique et de SF depuis les origines (éd. Bazaar). Un boulot de cinéphile acharné qui me tient depuis 6 ou 7 ans. Et en août, LES GUERRIERS DE LA NUIT, une sorte de western contemporain en territoire navajo (j’admire les Indiens, le premier peuple écolo).

  • Est-ce que la gestation a été difficile ?

Je suis l’auteur, depuis 1969 (LES HOMMES-MACHINES CONTRE GANDAHAR), d’environ 150 ouvrages. Alors gestation, digestion, régurgitation… je ne me pose pas la question, parce que la question ne se pose pas à moi. Pour dire les choses autrement, et employer un cliché gros comme un câble de marine, je ne suis pas sujet à l’angoisse de la page blanche. Tout au contraire la page blanche, chaque page blanche est un territoire nouveau à explorer. Et qu’est-ce qu’un écrivain, sinon un explorateur qui se double d’un paysan ? (on sème, ça récolte). Le reste est histoire de travail. Que disait Picasso ? Le génie, c’est du travail, plus du travail, plus du travail. Je ne suis pas Picasso ni génial, mais les bonnes réponses demeurent.

  • Dans quelle ambiance et dans quel lieu faut-il vous lire ? Avec quelle musique ?

Me lire ? C’est déjà un bon début. Le reste appartient à chaque lecteur. Moi, je lis en tout cas le plus souvent possible, ce qui, à l’arrivée, se traduit par : pas assez, jamais assez, hélas. Alors je lis au lit, le soir, comme tout le monde j’imagine, mais mon plus grand plaisir sont les instants volés : lire dans le tram, le train, dans une salle d’attente, sur un banc dans un jardin public. Mais quelle musique !? Voilà bien le réflexe (ou la réflexion) qui m’horripile autant qu’elle m’exaspère. La musique serait-elle une béquille pour la lecture ? La lecture ne se suffirait-elle pas à elle-même ? Est-ce que vous me poseriez la question inverse : Quand je vais au concert, lequel de vos livres dois-je emporter ? Pauvres misérables miséreux que ceux et celles qui peuvent lire (et marcher dans la rue) sans leurs écouteurs dans les tympans. En plus, ça rend sourd et, pour ça, il est d’autres activités, nettement plus agréables. Passons, et écoutons gazouiller les oiseaux.

  • Un livre de quelqu'un d'autre qui vous a plu ? Pourquoi ?

Je peux en citer deux ? Le premier sera Microfictions de Régis Jauffrey. Pas moins de 500 histoires tenant chacune sur une page et demie. Toujours inventives, toujours drôles, toujours féroces, sur les petits bas-côtés de la vie, qui vont jusqu’à déraper vers l’humour noir ou le non-sensique du côté de chez Jarry (mais tout aussi bien Pierre Dac). Voilà un livre (de poche) qu’on prend, qu’on met de côté, qu’on redécouvre, où l’on pioche au hasard, qu’on grignote comme une manne inépuisable de pralines. Et puisque, au bout de quelques semaines ou mois, on a évidemment tout oublié de ce qu’on y a lu, on peut le reprendre, et relire en ayant toujours l’impression de lire du neuf. Un livre jamais terminé, un livre qui peut vous accompagner toute une vie. Moi qui adore les nouvelles, les toutes courtes particulièrement, et qui ai beaucoup pratiqué le genre au début de ma Karrière, je suis admiratif. Et suprêmement envieux, cela va sans dire. L’autre, plus ancien puisqu’il date de 1946, est Neuf valises, de Béla Zsolt, juif hongrois qui a connu avant et pendant la guerre à la fois le goulag stalinien et les camps nazis. Ces deux tenailles d’une même barbarie. J’aime ce livre non seulement parce le thème – et les événements qui l’ont suscité - font partie de mes obsessions intimes, mais aussi parce que l’écriture, et donc la philosophie qui la sous-tend, sont pétries d’humour (vous savez : l’ultime politesse du désespoir) qui en font un livre-frère du Si c’est un homme de Primo Levi.

  • Une chose qui vous énerve ?

Les filles qui se rasent le pubis

  • Une chose à rajouter ?

J’adore répondre aux interviews, je trouve toujours des nouveaux trucs auxquels je n’avais pas pensé lors de l’interview précédente. Toutes ces pierres à ma branlante statue…