7/10Les Grand-mères

/ Critique - écrit par Filipe, le 23/09/2005
Notre verdict : 7/10 - Les Grand-mères ne sont pas ce qu'elles semblent être... (Fiche technique)

Un sentier montait en serpentant au milieu des arbustes pour s'arrêter aux jardins du Baxter's. Un après-midi, six personnes se lancèrent dans cette douce ascension. Quatre adultes et deux petites filles, dont les cris de joie faisaient écho au tapage des goélands.
En tête marchaient deux hommes séduisants, plus tout à fait de la première jeunesse mais que seules de mauvaises langues pouvaient dire d'âge mûr. L'un d'eux boitait. Deux dames d'une soixantaine d'années les suivaient, assez belles pour que personne n'eût songé à les juger vieilles. A une table visiblement bien connue d'eux, ils déposèrent sacs, paréos et joujoux ; c'étaient des êtres soignés et resplendissants, comme tous ceux qui savent profiter du soleil...

Les quelques cent dix pages qui suivent permettent de lever le voile sur la nature exacte de ces six personnages et les liens les unissant, le tout sur fond d'océan, de brises marines, de chansons et de légendes de la mer... Et cette entrée en matière donne particulièrement envie de se replonger dans les photos de vacances, car l'intrigue se situe en bord de mer, aux abords d'une barrière de corail. Le soleil inonde les terrasses de cafés et de restaurants. Les enfants affichent de larges sourires. Parents et grands-parents se prélassent au soleil. Contre la chaleur environnante, un seul remède : rejoindre l'océan et s'y jeter à corps perdu. L'heure est à la détente pour toutes ces familles. Des regards se croisent. Des gens s'interpellent chaleureusement. Partout, des éclats de rire se font entendre. Tout le monde est resplendissant. Les jus de fruits coulent à flot. Dans cette ambiance de rêve, seuls les serveurs ont l'air débordés.

Et pourtant, pour ces six personnages, cette réalité en cache une autre bien moins réjouissante. La plume de l'infatigable Doris Lessing ne partage pas la tranquillité de ces vacanciers. Elle préfère s'attarder sur l'existence peu commune des deux femmes âgées qui viennent de s'attabler au Baxter's. Elle dresse ainsi le portrait d'une famille élargie, aux apparences plutôt flatteuses : tous ses membres sont plus ravissants les uns que les autres ; tous sont des personnages en vue, reconnus pour leurs capacités et leur abnégation ; tous exercent de hautes responsabilités. Il est également question d'amitiés outrancières, de convoitises, de couples brisés, de relations quasi incestueuses et de la disparition d'êtres chers. Malgré cela, en apparence, rien ne change : au fil des générations, les enfants sont toujours aussi adorables, tout sucre tout miel ; les adolescents gardent cet éclat surnaturel, qui les rend si irrésistibles auprès des gens de leur âge ; les adultes sont insensibles aux ravages du temps.

Les Grand-mères, c'est avant tout l'histoire d'une amitié totale entre deux petites filles restées inséparables à l'âge d'être femmes. Une amitié qui a des répercutions sur leur entourage, en particulier sur leurs deux jeunes garçons, et qui aura même une incidence sur leurs petits-enfants. Tout va par deux dans ce roman du non-dit, où le thème de l'homosexualité n'est jamais bien loin. Les relations tumultueuses entretenues par les quatre adultes du départ sont exposées dans les conditions d'un parfait huis clos. Le monde extérieur n'est représenté que par une poignée de personnages secondaires tentant d'accéder à l'intimité du quatuor sans jamais y parvenir. Le récit est à la fois court et enlevé. Il se lit d'une traite. Aucune place n'est faite à d'éventuelles observations ou remarques d'ordre social ou politique. Ici, il est plutôt question de réflexions autour de l'adolescence et de la vie de parent, de la douleur que provoque l'absence d'un père. Les jeunes parents [...] focalisent pour un temps les regards et attirent les commentaires. [...] Et puis tout d'un coup, les parents semblent perdre de leur stature, rapetisser même, il n'y a pas de doute, ils perdent de leur couleur et de leur éclat. [...] Ce sont les enfants que les regards suivent, plus leurs parents. Enfin, cette histoire est une illustration poignante de la fuite du temps et de ses conséquences sur les hommes, en particulier lorsque ces hommes sont peu enclins au changement.