8/10Gaïa et Prométhée

/ Critique - écrit par Lilly, le 02/08/2006
Notre verdict : 8/10 - Quand les dieux parlent l’argot (Fiche technique)

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Que feraient les divinités grecques face au monde actuel ? Qui détruirait la Terre et corromprait l'humanité ? Gaïa et Prométhée est une pièce décapante écrite par Enri Wegmann, auteur de théâtre bien vivant qui s'octroie le droit de franchir toutes les frontières théâtrales et linguistiques pour servir ses réflexions sur le monde actuel.

La belle et antique Gaïa, qui n'est autre que la Terre-mère, rencontre un jour Prométhée, Titan enchaîné sur ordres de Zeus, pour avoir dérobé le feu pour le mettre en possession des hommes. Tous les jours l'aigle vient déchirer le foie de Prométhée, lequel repousse inexorablement chaque nuit, laissant ainsi cours au supplice infini. Gaïa fait mine de haïr le titan, mais très vite son coeur dépasse sa raison. Son amour la pousse à découvrir le complot qu'Hermès, Dieu du commerce et messager des Dieux, est en train de monter à l'insu de Zeus. Hermès fait commerce de tout et entraîne les hommes dans une folie destructrice qui ne nous est pas étrangère : sexe et violence se mêlent, la Terre est sacrifiée au profit d'un règne cruel du profit... Elle tentera de déjouer ce complot, mais l'engrenage meurtrier est dores et déjà bien trop avancé.

Enri Wegmann ne s'arrête pas à ce dialogue entre héros mythologiques et société contemporaine, il va jusqu'au bout de son projet littéraire et invente une nouvelle forme de langage. Les dieux s'expriment d'abord en alexandrins, mais les mots glissent souvent vers l'argot d'aujourd'hui, dans un style étonnant non dénué d'humour. En témoignent ces quelques paroles crues émanant d'un Zeus s'abreuvant d'anxiolytiques :
Acte II, sc 4
"Le triste spectacle des Hommes et des Dieux
Devient à la longue carrément ennuyeux"

Ou encore
"Héra m'agace au plus haut point en ce moment,
Et j'ai vraiment déjà assez d'emmerdements"
Puis devant nos yeux toujours plus ébahis, l'histoire de la mythologie se réécrit, les Dieux se libèrent des carcans de la tradition, parfois ils s'insultent, se battent comme des chiffonniers, enfin, à l'acte IV, la prose apparaît et traduit le summum de cette émancipation. Ils conversent comme tout un chacun et partagent nos préoccupations. La tragédie humaine rejoint les histoires d'amour divines. Et c'est ainsi que la mythologie grecque vient de nouveau, avec fraîcheur et audace, porter un sens à la dérive de notre monde du XXIème siècle. Il est à croire que la puissance allégorique réadaptée dans un langage neuf met en lumière les enjeux actuels. Notons toutefois que le ton proche de la pédanterie mythologique peut ennuyer les amateurs de dialogues fluides et naturels.

C'est avec plaisir et sourire que l'on découvre le culot réussi d'un auteur qui n'hésite pas à puiser dans une culture séculaire, à réinventer la psychologie de personnages ancestraux et à écrire une mythologie olympienne déjantée. A l'heure où l'écriture théâtrale contemporaine a bien du mal à persister, à l'heure où nombre de metteurs en scène et de programmateurs se réfugient dans des pièces classiques de référence, saluons le courage des Editions de l'Initié qui signent là la publication de leur premier texte. Soulignons par ailleurs la qualité de l'objet livre, dans la couverture grave et fascinante est illustrée par Frédéric Poncelet, dessinateur de bandes dessinées publié chez ego comme x. Un premier coup d'essai remarqué qui, espérons-le, sera transformé par la mise en scène de cette pièce et la publication de nouveautés aptes à dépoussiérer ce bon vieux théâtre.