9.5/10L'Echiquier du mal

/ Critique - écrit par nazonfly, le 09/03/2009
Notre verdict : 9.5/10 - Supérion (Fiche technique)

L'échiquier du mal est un livre prenant et effrayant, qui nous amène à la réflexion sur la domination de l'homme par l'homme, sur la violence de la civilisation. Indispensable.

Tout le monde a forcément des images frappantes des camps de concentration et d'extermination de la machine nazie. Des rangées de squelettes décharnés. Des regards hagards et sans espoir. Des coquilles vidées de toute humanité attendant le terrible passage aux douches. Et puis des corps entassés par dizaines dans les fosses communes. L'horreur suprême, l'anéantissement d'un peuple par un autre peuple.
Saul est un survivant de ces camps de la mort, un chanceux à la vie ancrée au corps. Pourtant il aura tout vu de l'horreur : les camps de travail, les chambres à gaz et surtout ce jeu abominable d'échec où les pièces sont remplacées par des hommes, sous les ordres de vampires psychiques. Toute sa vie il n'aura qu'un objectif : se venger du viol mental que lui a infligé l'Oberst Von Borchert. Et quand le monstre surgit à Philadelphie, engendrant ici encore mort et horreur, Saul sera là, à ses trousses. Dans ce combat absurde, perdu d'avance, les pions ne pouvant pas en général se rebeller contre la volonté qui les pousse sur l'échiquier, Saul ne sera plus seul.

David et Goliath

Version anglaise
Version anglaise
L'échiquier du mal aurait pu être une simple oeuvre fantastique où certains êtres humains sont dotés de capacités cérébrales déviantes. Un livre qui débute par l'horreur absolue de ces camps de concentration, décrite avec une minutie et une précision chirurgicales qui laissent une cicatrice longtemps après la lecture des premières pages. Réussir à marquer autant un lecteur est un exploit qu'on ne rencontre que rarement dans la littérature. Et d'ailleurs L'échiquier du mal ne pourrait presque n'exister que par ces quelques pages à la froideur frappante. Il faut dire que les liens entre le développement de l'histoire et le jeu d'échecs est propre à exciter toutes les imaginations. La plupart des personnages ne sont que des pions manipulés sur un échiquier à la taille des Etats Unis de la fin des années 80, début des années 90. Et, par conséquent, on retrouve les bandes des quartiers pauvres de Philadelphie (quelques années avant les émeutes de Los Angeles), les membres bien placés des gouvernements occidentaux, les services secrets israéliens et quelques nostalgiques du IIIème Reich. Autant dire que ce petit monde ne va pas cohabiter avec joie, bonheur et félicité. De l'horreur nazie, on passe finalement presque sans transition aux ghettos américains où la misère et la guérilla urbaine semblent régner en maîtresses absolues ou au conflit Israëlo-Palestinien. Au final, L'échiquier du mal est un plaidoyer contre le racisme où les minorités se rebellent contre la majorité blanche et puissante.

Survivre envers et contre tout

Version française
Version française
Mais le livre de Dan Simmons dépasse franchement cette dénonciation du racisme. Il est plus largement une réflexion sur la violence. Comment naît-elle ? Est-elle chevillée au genre humain comme une caractéristique indissociable ? Ou n'est-elle que le fait d'une certaine partie de la population, ne désirant que l'exploitation de l'Humanité ? Les vampires aux pouvoirs psychiques ne sont peut-être que la matérialisation des fanatiques semant la mort sur leur passage. Pour aller plus loin, L'échiquier du mal pose aussi une question fondamentale : que ferions-nous à la place de Saul ? Comme l'auteur l'exprime dans le livre : serions-nous capable de tuer 100 innocents pour mettre en échec quelqu'un qui en tuerait des millions ? Tous les hommes sont-ils capables de transcender leur nature pour assurer la paix ou pour simplement survivre. Survivre à tout prix. Survivre sans trahir. Survivre même s'il faut tuer. Un choix certainement pas si aisé à faire. Ainsi Saul le non-violent, le survivant des camps, Saul à la vie accrochée au corps, va devoir être confronté à cette alternative : devenir un assassin ou laisser une nouvelle fois l'horreur naître et grandir.

Plus qu'une référence du fantastique, L'échiquier du mal est tout simplement une oeuvre majeure de la littérature. Un livre prenant et effrayant, mais surtout un livre intelligent qui nous amène à la réflexion sur la domination de l'homme par l'homme, sur la violence de la civilisation.