Le Château
Livres / Critique - écrit par Filipe, le 03/01/2004 (
Le titre n'évoque rien d'autre que ce qu'il désigne. Il pourrait s'agir de n'importe quelle aventure, pourvu qu'à un instant T, n'entre en jeu un château. On pourrait imaginer bon nombre de situations autour de ce court assemblage de lettres. Certains évoqueront quelques maigres connaissances en Histoire de France, surgies de nulle part, ou bien mentionneront un passage, particulièrement mouvementé, du dernier roman de cape et d'épée qui leur sera passé entre les mains. D'autres préféreront revoir le film de leurs dernières vacances et cet incroyable château de sable qu'ils étaient parvenus à édifier, malgré le fort mistral et la montée des eaux, prévue pour le coucher du soleil. D'autres encore invoqueront le passe-temps favori de leurs oncles Sam ou Léopold, détenus depuis bientôt dix ans en maison de repos : les châteaux de cartes.
Une fois de plus, l'élève Kafka aura souhaité se distinguer de ses camarades de classe en s'intéressant de son côté à la nature de la condition humaine, c'est à dire aux conditions d'existence des hommes et aux nombreuses spécificités qu'ils présentent en tant qu'êtres à la fois vivants et pensants. Le besoin d'une racine, d'un métier, d'un foyer, d'un matricule sur un ou plusieurs registres... Et pour canaliser ce flot insensé de pensées raisonnées, Kafka prend le temps de bâtir les fondations d'un univers en tout point fantastique, doté à la fois d'un mystérieux château, que l'on perçoit comme étant à la fois occupé et inaccessible, et d'un village, depuis longtemps privé de la moindre influence civilisée. Kafka y installe plusieurs personnages secondaires et demande, par écrit, à y faire venir un arpenteur dans les plus brefs délais. Seulement, nul homme ne semble attendre cet arpenteur lorsque celui-ci se présente physiquement. Très vite, certains perçoivent même en lui quelque menace. La plupart l'ignorent, d'un commun accord. Toutes les occasions sont bonnes pour lui faire comprendre qu'il n'est pas le bienvenu. Il insiste. Cherchant à se mêler à cette étrange communauté de villageois, il se présente en un maximum d'endroits et s'autorise un maximum de rencontres. Mais les autorités locales éloignent en permanence ce héros, en quête d'une simple reconnaissance sociale, qu'il semble être en droit d'attendre d'individus qui ont clairement souhaité avoir recours à ses services mais qui semblent déterminés à l'ignorer depuis son arrivée. Son statut d'étranger célibataire, sans domicile et sans travail le place au plus bas dans les sondages. Comment réagir lorsque, du jour au lendemain, l'humanité toute entière semble à tout prix vouloir nier votre propre existence en tant qu'être humain ?
Joseph K., le héros du Procès, est poursuivi sans relâche par des autorités mystérieuses pour des raisons qui lui sont inconnues. Il se voit contraint de fuir en renonçant au quotidien. A l'inverse, ces mêmes autorités anonymes refusent de reconnaître l'existence de K., héros du Château, et ce, malgré les efforts fournis par ce dernier. Franz Kafka oblige, privilégiant son éloquence verbale, certaines tournures apparaissent franchement compliquées. L'abondance du détail ne facilite pas non plus la parfaite compréhension de certaines descriptions physiques ou matérielles. De même, la plupart des dialogues, dont la longueur et les tourments évoquent plutôt ceux d'une pièce de théâtre antique, sont peu évidents. Enfin, le contenu de ce récit est extrêmement dense : en atteste la conclusion de cet ouvrage, purement et simplement éludée, puisque sans grand intérêt vis-à-vis de l'oeuvre, perçue au final dans son ensemble. Au-delà de ces nombreuses difficultés d'apparence du récit, le Château est une expérience fascinante, dogvillesque, qui offre matière à philosopher et à remettre en cause ce que l'on croit d'instinct.
Si peu que ce soit, j'ai déjà un foyer, une situation et un travail réel, j'ai une fiancée qui exécute mon travail quand mes affaires m'appellent ailleurs, je l'épouserai et je deviendrai membre de la commune.