Boucle d'or et les trois ours
Livres / Critique - écrit par hiddenplace, le 28/11/2011 (Tags : ours trois boucle maison histoire contes albums
Racontée, écrite, illustrée mille fois depuis des décennies, l’histoire de Boucle d’or et les trois ours méritait bien une refonte novatrice et un peu culotté.
Si vous êtes comme moi, Boucle d’Or et les trois ours fait partie de ces classiques de la littérature pour enfants qui marquent une enfance et une vie, voire traumatisent un peu à long terme : comment ne pas sentir monter la fureur et le chagrin en endossant la peau du Petit Ours victime de tant d’injustices impunies ? Mais c’est aussi un conte qui obtient malgré tout (ou pour cette raison) un succès indéniable auprès des plus jeunes, et qui fait innocemment appel à d’importantes notions en construction à cet âge (petit-moyen-grand). Pas étonnant donc qu’il ait fait l’objet de nombreuses versions et variantes, et ait inspiré tant d’auteurs et d’illustrateurs depuis sa première parution au XIXème siècle. C’est aujourd’hui le tour d’Olivier Douzou chez le Rouergue d’y imprimer sa patte (d’ours), en en revisitant et modernisant complètement la forme.
Illustration d'Olivier Douzou, issue de
Boucle d'or et les trois ours, Rouergue,
2011
Habitués, pour ce titre, à des interprétations plutôt traditionnelles (comme la célèbre version du Père Castor, ou encore la plus récente de Didier Jeunesse), nous découvrons ici une nouvelle mouture très personnelle, et plutôt singulière. Olivier Douzou, qui aime jouer avec les techniques et les représentations, se lance dans un remaniement pour le moins audacieux : le texte et l’image s’entremêlent en étroite harmonie, puisque la figuration des différents éléments du récit fait appel exclusivement à de la typographie, mêlée de quelques formes géométriques ou quasiment abstraites. Ainsi, Boucle d’or est réduite à son plus simple signe distinctif : la boucle, qui d’ailleurs apparaît plutôt comme un vulgaire cercle. La famille Ours bénéficie d’une palette plus variée d’expressions et de représentations, tantôt le chiffre 3 basculé pour les oreilles et trois petits points évoquant les yeux et la truffe ; tantôt un 5 et quelques tirets habilement disposés pour une posture plus complexe. Nous ne dévoilerons pas toutes les configurations rencontrées de chiffres et de lettres car elles sont finalement nombreuses et très inventives, et le plaisir premier de cette lecture réside dans son « déchiffrage ». Mais c’est avec une certaine surprise mêlée d’admiration que l’on découvre chaque élément de l’histoire sous sa forme parfaitement inédite. Les expressions de visage, pourtant figurées de façon minimaliste, sont efficaces et percutantes : on peut prendre pour exemple le Grand Ours en colère, traduit par un gros plan sur une typographie imposante.
Illustration d'Olivier Douzou, issue de
Boucle d'or et les trois ours, Rouergue,
2011Par ailleurs, ce graphisme faussement simpliste permet d’oublier ses acquis quant à l’usage des signes, surtout quand on maîtrise déjà leur usage conventionnel ; concernant les plus petits, qui ne savent pas complètement les identifier, voilà une entrée amusante et ludique qui devrait justement les familiariser avec leur forme. De ce fait, l’expérience de cet album sollicite un véritable (mais passionnant) effort de concentration et un sens aiguisé de l’observation, amoindri lorsque l’on s’éloigne quelque peu des illustrations et les explore dans leur ensemble. La gamme chromatique restreinte, mais vibrante, incisive et symbolique (rouge, noir, orange et blanc) vient accentuer la force du propos. Les enfants sont généralement friands d’albums dont l’illustration est quasi-abstraite (comme Petit-Bleu et Petit-Jaune, ou encore Dans la cour de l’école), laissant une grande place à l’imagination et à l’interprétation ; le parti pris de ce Boucle d’or et les trois ours devrait clairement séduire par la simplicité et l’énergie qu’il délivre.
Le texte, retouché lui aussi par Olivier Douzou, tout en restant fidèle aux grandes lignes du récit original, est modernisé pour une meilleure cohésion avec ce graphisme plutôt conceptuel. La formulation des répliques des trois ours présente une particularité pour chacun d’eux : des mots et une élocution unique qui les caractérisent, que l’on peut intensifier à l’oral par l’intonation. La mise en page ingénieuse et les compositions parfaitement réfléchies en vis-à-vis mettent en lumière l’interdépendance du texte et de « l’image », tandis que les très gros lettrages permettent aux apprentis lecteurs de mieux déchiffrer les phrases. En outre, l’humour omniprésent employé par l’auteur là où le premier degré régnait en maître dans la plupart des autres versions contribue à rendre cet album attachant et mémorable.
Racontée, écrite, illustrée mille fois depuis des décennies, l’histoire de Boucle d’or et les trois ours méritait bien une refonte novatrice et un peu culottée : Olivier Douzou s’en charge avec une efficacité et un charme qui lui sont propres. Moderne et décalée, cette version devrait séduire les petits… mais également ceux qui n’ont toujours pas digéré les méfaits de l’impertinente blondinette. Certes, le Petit Ours n’a toujours pas obtenu réparation, mais comme on dit : la vengeance est un plat qui se mange froid… la soupe aussi, d’après la famille Ours.