Le Bon Gros Géant / Le BGG
Livres / Critique - écrit par riffhifi, le 24/07/2008 (Pour Roald Dahl, fini la chocolaterie : en 1982, l'aliment principal de ce livre pour enfants est... l'être humain lui-même. Heureusement que le Bon Gros Géant ne mange pas de ce pain-là.
Le Gallois Roald Dahl était un auteur à multiples facettes. Ecrivain cynique et désabusé pour adultes, scénariste de télévision et de cinéma pour Hitchcock et James Bond, il était aussi un pourvoyeur de contes acidulés mais cruels qui font le bonheur des marmots sans consterner leurs parents. On se souvient le plus souvent des deux titres contenant un garçonnet et un aliment (mais si, vous allez trouver), au détriment du plus tardif BGG, qui vaut pourtant son pesant de cacahuètes. Un roman que l'on qualifiera de scrumdiddlyumptious si on l'a lu dans la langue de Shakespeare, et de délexquisavouricieux si on a opté pour celle de Molière...
L'héroïne Sophie est une jeune orpheline ; les enfants des livres de Roald Dahl le sont souvent. En lisant l'autobiographie Moi Boy de l'auteur, on réalise que sa propre enfance n'a pas été rigolote, et que son père est mort lorsqu'il avait trois ans, la même année que sa sœur, emportée par une pneumonie. Contrairement à ce qu'on croit, le malheur peut frapper plusieurs fois au même endroit : en 1962, l'une des filles de Roald Dahl mourra à l'âge de sept ans ; c'est à cette enfant, Olivia, que le BGG est dédié. Nous sommes en 1982, il aura fallu vingt ans à l'auteur pour faire son deuil.
Sophie, incapable de trouver le sommeil, est témoin d'une scène déconcertante : un géant d'une dizaine de mètres introduit une trompette dans le dortoir de son orphelinat, et souffle silencieusement dedans. Se voyant découvert par la petite fille, il l'enlève et l'emmène dans son pays secret. Le pays des géants n'est pourtant pas un endroit où passer des vacances : la quasi-totalité d'entre eux sont des dévoreurs d'humains. Heureusement pour Sophie, celui qu'elle a rencontré est le Bon Gros Géant, le BGG (BFG en anglais, pour Big Friendly Giant), et celui-ci est végétarien...
Métaphore évidente de l'univers des adultes tel que les enfants peuvent le voir, peuplé d'ogres terrifiants, le pays des géants nous est présenté par son représentant le plus pacifique, qui figure clairement l'auteur lui-même : Roald Dahl avait la réputation d'être un adulte très enfantin, plus apte au rêve et à la candeur qu'à l'intégration dans le monde des adultes. Rien d'étonnant à ce que le BGG collectionne les rêves, et s'exprime dans un langage fleuri et maladroit qui recèle des perles d'humour et de poésie. Ainsi, il désigne les humains sous l'expression de ‘human bean', homophonie avec ‘human being' qui signifie ‘être humain' ; sauf que bean signifie haricot, permettant à la fois un jeu de mots sur la notion de l'humain comme aliment, et une allusion habile au détour d'une page à la légende de Jack le tueur de géants. Un vrai casse-tête pour le traducteur, qui s'en sort avec un astucieux ‘homme de terre'... mais n'est pas au bout de ses peines !
Car dans le monde des géants, il n'y a pas que des rêves volants qu'on attrape et qu'on met en bocal. Il y a aussi de répugnants snozzcumbers (en français : les schnockombres), sortes de concombres pustuleux au goût infect, et le délicieux frobscottle (chez nous : la frambouille), boisson gazeuse dont les bulles vont vers le bas... La première moitié du livre est consacrée à la description détaillée de ce monde fantaisiste, illustré à merveille par l'inévitable Quentin Blake, collaborateur régulier de Dahl. La deuxième, un peu plus poussive, obligera le BGG à se confronter au monde des humains, et occasionnera quelques répétitions dont on se serait passé. Mais qu'importe, le livre reste magique, et possède la cruauté proverbiale des contes millénaires : mais les géants qui croquent les humains sont-ils plus vilains que les humains qui mangent les animaux ? C'est sur cette leçon de végétarisme que Roald Dahl nous laisse retourner au pays des rêves... puisqu'il nous a appris qu'il existait !