9/10La Belle lisse poire du prince de Motordu

/ Critique - écrit par knackimax, le 23/07/2008
Notre verdict : 9/10 - Professeur Es Francais... pour ceux qui ne savent pas encore l'écrire (Fiche technique)

Un livre qui remet la réalité à sa place en lui redonnant ses lettres de noblesse et un peu de panache, s'adaptant à une vision du monde incroyablement fabuleuse et pleine de sens et contre-sens.

Tandis que certains se faisaient bercer par les histoires tendres de la bande à Disney et que d'autres exploraient les éléments du moi-profond dans l'expression des frères Grimm et à travers les contes d'Andersen, certains autres avaient du mal à lire et se réfugiaient dans les mots tordus d'un charmant prince inventé par un charmant écrivain pour enfants du nom de Pef. Alors que les années 70 s'effaçaient pour laisser place à la raison, cet éternel enfant des cours de récréation de l'école publique gratuite et obligatoire nous proposait les prémisses d'un monde imaginaire débordant et amusant, qui enflammerait les rêves des milliers d'enfants de prof tels que lui et bien d'autres encore.

La belle lisse poire commence au royaume de Motordu. Les parents du jeune prince s'inquiètent de voir celui-ci mener une vie de débauche dans son chapeau, à jouer aux tartes avec ses coussins dans la salle à danger et à faire des batailles de poules de neige. Ils le poussent donc à partir à la recherche de sa future épouse. Chemin faisant il rencontre la princesse Des écoles, institutrice de son état. Celle-ci le ramène dans son école pour y parfaire son éducation. Vécurent-ils peureux ou eureut-ils beaucoup d'enfants ?

Au-delà d'une jolie histoire pour enfants prédisposés à comprendre l'imaginaire fécond d'un gentil farfelu, il s'agit d'un des outils pédagogiques les plus intrigants que l'on ait pu proposer à la génération de petits effrontés que nous avons été. La multiplication des fautes dans un livre pour enfants est particulièrement pertinente lorsqu'il s'agit d'une technique de dédramatisation globalisée de la population enfantine. On comprend alors que l'appui d'une mère professeur ait déterminé les parents d'élèves à proposer les œuvres d'un mauvais élève si exquis à leurs bambins. Et ceux-ci ne se sont pas trompés en faisant confiance à Pef car le double discours qui l'anime fait passer l'amusement en premier pour parler aux enfants alors que la deuxième partie, aussi insidieuse qu'elle puisse être, parle à leurs géniteurs et éduque les deux sphères à une meilleure compréhension de leurs erreurs, voire de l'échec et de l'inattention. C'est une manipulation scientifique presque honteuse de simplicité mais savamment dosée et subtile. Si on y tend l'oreille, cette démonstration nous envoûte et apaise les difficultés tout en nous faisant voyager.

L'artiste appuie cette théorie et la met en pratique dans les illustrations qui accompagnent le récit et qu'il signe également d'une main de maître. Si le dessin n'est pas savant, il sert son propos à merveille et nous donne une fois de plus le mix quasi parfait entre envol lyrique et imagination terre à terre. Un chapeau est donc un château en forme de chapeau et les suisses de grenouilles sont des grenouilles rouges peintes d'une croix blanche et disposées dans une assiette prêtes à être manger vivantes.

D'intrigant, je monte l'adjectif qualificatif de l'œuvre à remarquable lorsqu'on observe le message d'amour que lance en parallèle de ses intentions pédagogiques ce grand enfant à sa maman et aux institutrices en général. Il permettra même à certains petits garçons d'en oublier leurs boutons prépubères pour les imaginer en moutons et trouver la confiance suffisante pour idolâtrer cette personne plus âgée qui leur donne des leçons. Le message, une fois de plus, passe sans heurt, en douceur, constructif et bienfaisant comme si l'homme barbu exprimait une sagesse dédiée aux enfants à partir d'un medium très fort.

La belle lisse poire du prince de Motordu est donc un très grand moment dans nos souvenirs à nous autres les habitués du zéro en dictée. La relecture est une délectation pure et simple de chaque instant. L'histoire n'est d'ailleurs pas si lisse que cela et certains concepts basés sur les fautes d'orthographes ou les erreurs de prononciation sont presque effrayants. Quoi qu'il en soit, ce livre remet la réalité à sa place en lui redonnant ses lettres de noblesse et un peu de panache, s'adaptant à une vision du monde incroyablement fabuleuse et pleine de sens et contre-sens. Cette même réalité se mélange à un monde imaginaire qui lui donne toute sa signification et bien plus encore. Un vrai bonheur qui déstressera par magie le plus dyslexique des dyslexiques.