99 francs (14.99€)
Livres / Critique - écrit par riffhifi, le 10/09/2007 (Une critique acide mais prévisible du monde de la pub, qui stigmatise du même coup l'absurdité du monde contemporain, dans lequel le narrateur/auteur se sent aussi puissant qu'inutile...
Frédéric Beigbeder, publiciste branchouille et cocaïné jusqu'aux oreilles, jet-setteur dépravé à la plume vivace, travaille chez Young & Rubicam où il s'occupe d'une campagne pour Danone. Fatigué de la navrante vacuité de son métier, résolu à se faire virer (démissionner, ce n'est pas assez classe), il décide d'écrire le bouquin qui « dit tout » sur la pub. Peu de temps après la publication de son livre 99 francs, il est effectivement licencié pour son plus grand bonheur.
Octave Parangon, publiciste branchouille et cocaïné jusqu'aux oreilles, jet-setteur dépravé à la plume vivace, travaille chez Ross & Witchcraft où il s'occupe d'une campagne pour Madone. Fatigué de la navrante vacuité de son métier, résolu à se faire virer (démissionner, ce n'est pas assez classe), il décide d'écrire le bouquin qui « dit tout » sur la pub. Révéler la fin du bouquin serait anti-éthique.
Autobiographie à peine déguisée, du moins jusqu'à un certain point, 99 francs (sorti en 2000, vaguement rebaptisé 14.99€ en 2001 puis 6€ lors de sa sortie en poche - même autoparodique, le marketing reste le marketing) est un livre déroutant : Beigbeder a mis trois ans à l'écrire ; ce qui est costaud pour un type qui meurt de son boulot... Mais pour peu qu'on mette de côté l'aspect vécu de l'histoire, dans laquelle il serait bien ardu de démêler le vrai du faux, penchons-nous sur le texte lui-même, qui sera vu sur les écrans à travers la caméra de Jan Kounen à la fin du mois.
La critique du monde de la pub, en fin de compte, est on ne peut plus convenue : y en a trop, on en mange à toutes les sauces, elle brasse des sommes d'argent phénoménales, etc. Chiffres à l'appui, c'est encore plus vertigineux. Partant de ce constat, l'intérêt du livre est surtout d'aller titiller toujours un cran plus loin : si la pub est si puissante, c'est à cause de la société de consommation ; si on y vit, c'est parce qu'on ne peut plus s'en passer, on étant le sale on d'occidental qui se fout complètement d'envisager l'existence de petits travailleurs du Tiers Monde soumis à un quasi-esclavagisme. Ce constat sur la société humaine, le narrateur Octave le fait du haut de sa bulle, se décrivant comme un übermensch, un être supérieur par le pouvoir et la désincarnation que lui procurent son métier. Le pubard, le pubeux, le créatif produit du vent en échange de sommes considérables, il symbolise le stade ultime de l'absurdité vers laquelle tend la société. Pour reprendre les mots du livre, « un créatif met un an à faire un film de trente secondes alors qu'un animateur télé met trente secondes à concevoir un programme d'un an. ». Dans les deux cas, il y a de quoi s'arracher les cheveux ; mais dans le premier cas, la folie guette celui qui en fait sa vie.
En parallèle du débinage en règle de ses congénères (les collègues en particulier, les hommes en général), Octave/Beigbeder trace un récit éthéré, qu'il ne reprend que par intervalles aléatoires, et qui montre qu'en fin de compte le créatif méprisant et cynique cache un homme sensible et faible, largué par la vie et incapable de trouver goût à autre chose qu'au caca dont il se nourrit. Ce côté pathétique, attachant, permet malheureusement de s'identifier facilement au personnarrateur, car sans être payé 20 000 euros par mois, on peut trouver dans son propre boulot toute la misère et l'atroce absurdité du monde sans pour autant oser le quitter, sans pour autant savoir ce qu'il est possible de faire d'autre. Beigbeder ne prend pas position, il est lâche. Mais lucide.
Le style, incontestablement bordélique, alterne étrangement la première, la deuxième et la troisième personne, plongeant sans ménagement le spectateur dans la peau d'Octave, avant de l'en sortir violemment puis de le mettre face au héros, comme pour dire : « tu le reconnais ? ». A l'image du personnage/écrivain, le texte se gargarise d'une onctueuse vulgarité, et s'appuie sur d'innombrables citations allant du slogan publicitaire à l'auteur le plus verbeux, de l'humaniste le plus irréprochable au monstre le plus sanguinaire (plusieurs nazis sont régulièrement cités, dans le cadre de rapprochements faciles entre la pub et le fascisme). Mais le monde de la pub n'est-il pas celui de la référence perpétuelle, celui de l'anti-inventivité, celui de la fin de l'imagination ? Qu'est-ce qui sépare l'homme de l'animal ? L'art ou l'économie ? Lequel est une fin en soi ?
Le livre amuse, soulève des questions, choque rapidement, et s'achève en quelques pages de pirouette. Pas vraiment narratif - à quoi va donc ressembler le film ? - 99 francs est pourtant un récit incisif, bien que ni révolutionnaire ni totalement satisfaisant...